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En Tunisie, la grève des enseignants contractuels secoue l’école primaire

En Tunisie, la grève des enseignants contractuels secoue l’école primaire


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Une manifestation des enseignants devant le ministère de l’éducation, à Tunis, le 10 novembre 2022.

Des écoliers en uniforme, cartable sur le dos, se dépêchent de rejoindre l’école primaire de Bhar Lazreg, un quartier populaire en banlieue nord de Tunis. Quelques minutes plus tard, beaucoup sont déjà ressortis. « La maîtresse n’est pas là », annonce un élève de CE1 à sa mère, qui se met en colère : « Je n’en peux plus, chaque jour c’est la même chose ! » Imen Ayachi, 40 ans, a deux enfants scolarisés : « Je fais tout pour qu’ils aient un avenir ici, mais là ce n’est plus possible. Que sommes-nous supposés faire face à un tel blocage ? »

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La même scène se répète quotidiennement devant certaines écoles primaires de Tunisie, alors que près de 4 000 enseignants remplaçants sont en grève depuis la rentrée. Ils étaient même près de 8 000 au départ, soit presque 10 % du corps enseignant dans le primaire. Entre 60 000 et 150 000 élèves n’ont pas pu reprendre normalement les cours depuis le début du mouvement, selon le ministère de l’éducation – plus de 500 000 d’après les syndicats des enseignants.

Ces professeurs suppléants réclament l’application d’un accord signé en 2018 avec l’ancien gouvernement, qui promet la titularisation des contractuels au bout de plusieurs années de travail. Près de 80 % d’entre eux ont été embauchés entre 2019 et 2022, mais « la situation économique du pays ne le permet pas » pour la promotion 2023, a fait valoir le ministre de l’éducation, Fethi Sellaouti, provoquant un tollé au sein de la profession. La masse salariale de la fonction publique représente déjà près de 15 % du PIB et le gouvernement ne souhaite pas la gonfler davantage au moment où la Tunisie traverse une grave crise économique et financière.

Ultimatum

Mais pour Ridha Zahrouni, président de l’Association tunisienne des parents et des élèves, cette crise est avant tout le résultat de « mauvaises politiques appliquées dans le secteur de l’éducation depuis la révolution ». Problème des rémunérations, manque d’évolution des programmes scolaires, gestion défaillante de la violence et du harcèlement, dégradation des infrastructures scolaires publiques… Ces dernières années, l’école tunisienne a déjà été secouée par de nombreux mouvements de grève. « Quand on voit le taux de décrochage scolaire et le fait qu’on continue de faire appel à des suppléants par contraintes budgétaires, il y a beaucoup de réformes à faire en urgence », estime Ridha Zahrouni.

Près de 109 000 élèves ont abandonné l’école en 2022, selon le ministre de l’éducation

Près d’un million d’élèves, notamment à la fin du collège et au lycée, ont abandonné l’école entre 2010 et 2020, d’après le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES). S’y ajoutent près de 109 000 élèves rien qu’en 2022, selon une déclaration de Fethi Sellaouti en septembre. Face à l’impasse, le président Kaïs Saïed a convoqué fin octobre le ministre de l’éducation et la cheffe du gouvernement, Najla Bouden, pour les exhorter à « trouver en urgence une solution ». « Il devrait davantage jouer un rôle d’arbitrage pour éviter que la situation ne devienne ingérable », juge pour sa part Ridha Zahrouni.

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Un ultimatum a été lancé par les autorités mardi 8 novembre : les enseignants sont sommés d’accepter les aménagements soumis aux syndicats et de retourner à leur poste, faute de quoi ils perdront toute marge de négociation. Le ministère avait initialement proposé des contrats provisoires et une promesse de renégociation sur le recrutement d’ici quatre ans, mais il a finalement réduit la période à trois ans, avec « des nouveaux contrats qui donnent des avantages et des salaires pratiquement identiques à ceux d’un enseignant titulaire [dans les 1 300 dinars par mois, soit 400 euros] », déclare Nsiri Bouzid, directeur de la planification et des études au sein du ministère.

« Nous souhaitons vraiment trouver une solution et nous avons proposé plusieurs packages aux syndicats », insiste-t-il, se disant confiant sur la possibilité d’une issue prochaine puisque « certains enseignants sont allés chercher ces nouveaux contrats dans les commissariats régionaux et vont les signer d’ici à lundi ».

Escalade

Mais jeudi, plusieurs centaines de professeurs se sont réunis devant le ministère de l’éducation pour dire leur mécontentement et défendre leurs droits.

Mouna Dridi, 39 ans, enseignante à Sidi Hassine, dans la banlieue de Tunis, ne veut pas céder, même si son école a dû fermer depuis qu’elle et ses collègues sont en grève. « Notre place est dans les salles de classe, pas dans les rues, mais nous ne pouvons pas continuer comme ça après cinq à six années sans recrutement », dit-elle au milieu de la foule d’enseignants. Sabeh Ghattasi, 38 ans, officie depuis 2013 comme remplaçante, pour un salaire d’environ 600 dinars par mois. Son école à Fouchana, un autre quartier populaire, est aussi fermée. « Ce n’est pas un problème d’argent mais de principe. Nous avons le droit, légalement, de réclamer un contrat plus stable », explique-t-elle.

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La principale centrale syndicale du pays, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), semble vouloir faire baisser la pression. La « crise des enseignants sera résolue dans les heures à venir », a assuré jeudi son secrétaire général, Noureddine Taboubi. Mais au sein d’autres syndicats, le ton monte et certains professeurs ont promis une escalade dans les prochains jours, avec des sit-in dans les établissements.

Les parents craignent des dommages collatéraux sur la scolarité de leurs enfants. « C’est pour ça qu’on vient chaque jour devant l’école. Parfois, les professeurs d’autres matières sont là et on peut laisser nos enfants au moins pour une heure ou deux », témoigne Naziha Mejri, mère de deux écolières, désabusée : « Je travaille comme femme de ménage, c’est impossible pour moi de les mettre dans le privé. » Le coût d’inscription dans une école privée peut varier entre 1 200 et 6 000 dinars par an, alors que le salaire minimum ne dépasse pas les 460 dinars.

Ce matin-là, Naziha Mejri repart avec ses deux filles. Elle doit les emmener à la garderie pour pouvoir aller travailler. Le ministère a assuré que des « séances de rattrapage exceptionnelles » allaient être assurées, selon Nsiri Bouzid, « pour aider ces élèves à passer leurs examens de décembre ».

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