Devant la porte de la maternité Bénediction, les baignoires à bébé ont été sorties pour récupérer les gouttes de pluie. Située dans le quartier de Mpasa, au nord-est de Kinshasa, cette petite structure de santé privée n’a pas l’eau courante. Le toit est en tôle, les murs en béton noirci et la table gynécologique est une vieille structure métallique recouverte de plastique marron.
Juste à côté, derrière une porte fermée, trois femmes sont assises sur des lits avec leurs nourrissons dans une pièce exiguë. Ces bébés ont entre deux semaines et un mois et n’ont connu que ces quatre murs : leurs mères y sont détenues contre leur gré faute de pouvoir régler les frais d’accouchement.
« C’est comme purger une peine », souffle Pascaline Ngusu dans un murmure. La jeune femme de 20 ans a accouché trois semaines plus tôt de son premier enfant et doit environ 40 euros à la maternité. « Le père m’a quitté dès qu’il a appris que j’étais enceinte. Je me suis ensuite disputée avec ma famille à cause de cela. Je n’ai aucun soutien financier » , explique-t-elle. Pour se nourrir, elle dépend de ce que veut bien lui donner le personnel. Et refuse de nommer son enfant avant d’avoir regagné sa maison.
« Ces femmes sont des prisonnières »
Etendue sur le lit d’à côté, Rebecca Matzonga a, quant à elle, choisi d’appeler son fils de deux semaines Espoir. « Je veux retrouver ma liberté pour pouvoir prendre soin de mes autres enfants restés à la maison. Mon mari est handicapé, donc il ne peut pas s’en occuper pendant que je suis prisonnière ici » , lâche-t-elle.
Chargées de surveiller les captives, les infirmières ont l’air tout aussi affligées par la situation. Elles assurent pourtant que cette pratique est inévitable : « On ne peut pas les laisser partir avec leur bébé, parce qu’on ne peut malheureusement pas faire tourner la maternité à perte », explique l’une d’elles en baissant les yeux. Le but affiché est de laisser aux proches des jeunes mères le temps de rassembler l’argent.
Ce jour-là, les factures sont finalement réglées par la Fondation Grâce Monde, une organisation privée qui milite depuis 2017 pour la gratuité de l’accouchement en RDC et a libéré des milliers de Congolaises retenues dans tout le pays. « Ces femmes sont des prisonnières et subissent parfois des abus de la part du corps médical. Elles se retrouvent abandonnées par leurs maris quand ceux-ci ne veulent pas payer les dettes », avance Grâce Mbongi, la directrice, pour expliquer son engagement.
En RDC, le prix d’un accouchement varie selon les structures de santé, publiques comme privées. Dans les moins chères, il faut compter entre 10 et 20 dollars pour une naissance sans complications et 150 dollars pour une césarienne. La plupart du temps, la tarification se fait à l’acte : les familles doivent donc payer pour les interventions médicales, le matériel et les médicaments utilisés, dans un pays où 64 % de la population, soit près de 60 millions de personnes, vit avec moins de 2 dollars par jour.
Entre 500 et 700 décès pour 100 000 naissances
Plus pour longtemps ? Le président Félix Tshisekedi a promis la mise en place d’une Couverture santé universelle (CSU), dont le plan stratégique a été présenté en décembre 2021. La gratuité des soins de la mère et de l’accouchement, annoncée par le chef de l’Etat lors d’un discours en juin, devrait en être le premier acte. Aujourd’hui, 9 zones de santés sur les 35 que compte la capitale congolaise en bénéficient déjà selon Timothée Lunganga Mukendi, directeur général adjoint de l’autorité de régulation de la Couverture santé universelle. Pour l’instant, le programme est financé par un prêt de la Banque mondiale au gouvernement congolais.
La santé des femmes enceintes est une urgence : avec entre 500 et 700 décès pour 100 000 naissances, selon les dernières estimations, le pays a l’un des taux de mortalité maternelle les plus élevés au monde. Les avortements à risque contribuent grandement à ce chiffre, tout comme les nombreuses « grossesses précoces, non désirées ou trop rapprochées suite à la faible prévalence contraceptive et la faible qualité des soins », indique un rapport gouvernemental. A cause du mauvais état des routes et du prix des transports, les femmes accouchent souvent à la maternité la plus proche de chez elles, parfois des structures de fortune insalubres, au lieu d’aller jusque dans un centre de santé mieux équipé où le personnel est bien formé.
C’est le cas à Mpasa. Dans le centre de santé Familia, situé à proximité de la route Nationale 1, la gratuité est déjà effective et le nombre d’accouchements augmente régulièrement. Mais quelques rues sablonneuses plus loin, une petite maternité privée garde six femmes retenues pour des factures impayées.
« Ici, c’est une zone un peu reculée. Nous avons ouvert pour assurer un minimum de soins aux habitants », assure George Dwaba, le médecin généraliste. « Beaucoup de femmes sont retenues ici. Au bout de deux ou trois mois, si les familles n’ont pas réussi à rassembler l’argent, on les relâche » , explique-t-il sans ciller. Ici, la salle d’accouchement est spartiate et ne fait pas plus de 5 m2. « Nous manquons de matériel, de lits et d’espace. Nous n’avons pas d’appareil de réanimation. Mais nous faisons tout pour que les mères vivent », ajoute-t-il.
« La plupart de nos patientes arrivent démunies »
Souvent, le suivi de grossesse fait défaut, augmentant les risques de complications et donc les prix des factures. « J’ai fait des consultations prénatales, mais pas d’échographies, car cela coûtait trop cher », explique Ngasia Mubenga, une jeune fille frêle aux grands yeux occupée à allaiter l’un de ses deux garçons. Elle n’a appris qu’elle portait des jumeaux qu’à leur naissance. « Je sentais bien qu’il y avait beaucoup de mouvement dans mon ventre, mais je ne savais pas que j’avais deux bébés. Ça a été une surprise », assure-t-elle.
Après un accouchement par césarienne difficile, elle doit 700 000 francs congolais à la maternité, soit environ 330 euros. C’est plus de trois fois le salaire mensuel de son mari, agent de sécurité. « On a cherché de l’argent partout : on a demandé à nos cousins et ma mère est même allée demander un prêt à la banque. Mais rien n’a fonctionné », regrette-t-elle.
« La plupart de nos patientes arrivent démunies », confirme un médecin au service d’obstétrique d’un grand hôpital public de Kinshasa. « Nous recevons des femmes en plein travail, sans savoir s’il y a eu des tests hépatiques, des tests pour le VIH, sans savoir s’il y a des malformations, sans rien connaître du bébé à l’intérieur. Donc il faut avancer en se basant uniquement sur les signes cliniques », explique-t-il, dénonçant un salaire dérisoire qui le pousse à faire des consultations dans le privé en parallèle.
Entre un déficit de financement et une mauvaise exécution du budget, les défis pour mettre en place la CSU sont immenses. Selon l’Unicef, les dépenses sanitaires en RDC sont aujourd’hui financées en majorité par les ménages et les partenaires extérieurs, l’Etat ne couvrant que 13 % des frais de santé des familles.