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Les manifestantes iraniennes, qui défilent dans tout le pays pour la onzième nuit successive depuis le 16 septembre, se mobilisent pour faire passer leurs messages à l’étranger, notamment auprès des dirigeants occidentaux. Car les prises de position fermes à l’encontre de la répression se sont fait attendre.
« Nous sommes comme les Afghanes que l’Occident a abandonnées aux mains des Taliban. Qui prendra notre défense jusqu’au bout ? Je ne me fais pas d’illusion, j’ai bien vu les pincettes que prenait votre président Macron à l’ONU quand il a rencontré [le président iranien] Ebrahim Raissi« , confie Niloufar*, une manifestante iranienne de 39 ans jointe à Téhéran.
Au bras gauche, cette employée de bureau porte une ecchymose d’une dizaine de centimètres, comme en atteste une photo qu’elle a diffusé sur les réseaux sociaux. « J’ai reçu un coup de matraque, l’agent a frappé de toutes ses forces », raconte celle qui a manifesté plusieurs soirs d’affilée après le travail. « Mais ce n’est rien par rapport à d’autres. Aujourd’hui mon bras va mieux, mais mon cœur est brisé ».
Tout comme Niloufar, certains manifestants Iraniens commencent à s’impatienter. Dix jours se sont écoulés avant que le Quai d’Orsay ne condamne la réponse violente des autorités iraniennes aux protestations qui enflamment l’Iran toutes les nuits depuis la mort de la jeune Mahsa Amini après son interpellation par la police des mœurs le 16 septembre.
Le ministère français des Affaires étrangères a fini par prendre position, lundi 26 septembre, dans un communiqué faisant état de la « condamnation la plus ferme de la répression violente, par l’appareil sécuritaire iranien, des manifestations » en Iran. « Cette répression brutale a déjà conduit à la mort de plusieurs dizaines de manifestants et manifestantes au cours des derniers jours », a dénoncé la diplomatie française, précisant que Paris examinait avec ses partenaires européens « les options disponibles en réaction à ces nouvelles atteintes massives aux droits des femmes et aux droits de l’Homme en Iran ».
Avant cela, le président français s’était entretenu, le 20 septembre, avec le président iranien ultraconservateur, Ebrahim Raïssi, à New York, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU. Une rencontre durant laquelle il avait fait part à son homologue du « choc qui a été le sien à la nouvelle de la mort de Mahsa Amini après son arrestation », et réclamé une « enquête transparente ». Le chef d’État français a aussi rapporté à la presse avoir « insisté sur le respect des droits des femmes » dans le pays.
Ambassadeur iranien convoqué en Allemagne
Une réponse jugée timorée, de même que le communiqué du Quai d’Orsay, si l’on compare avec d’autres partenaires de la France. À savoir l’Allemagne qui a convoqué, dans la matinée de lundi, l’ambassadeur iranien au sujet de la vague de répression des contestations, ou encore le Canada qui va imposer des sanctions contre une dizaine de responsables iraniens et d’entités dont la police des mœurs.
Pendant ce temps, la liste des victimes de la répression ne cesse de s’allonger, sans dissuader les jeunes manifestants iraniens de reprendre le chemin de la rue la nuit tombée. Mardi 27 septembre, pour une onzième nuit consécutive les protestations se poursuivaient dans une dizaine de villes du pays, selon les médias d’État et des publications sur les réseaux sociaux.
Le nombre exact de victimes reste quant à lui inconnu. Au moins 41 personnes ont été tuées, selon un bilan officiel incluant manifestants et forces de l’ordre. L’ONG Iran Human Rights (IHR) fait elle état « d’au moins 76 personnes tuées dans les manifestations ».
Les informations filtrent au compte-goutte car les autorités iraniennes ont restreint l’accès à Internet depuis le 21 septembre afin d’empêcher les manifestants de publier des vidéos sur les réseaux sociaux, comme le révèle les données publiées sur Twitter par l’organisation NetBlocks. Un blocage que les Iraniens les plus jeunes parviennent à contourner en utilisant des VPN et Tor, mais la connexion reste lente et aléatoire.
Interpeller les stars américaines de la vague #Metoo
Pour contourner la censure, mais aussi pour se faire entendre des dirigeants occidentaux, les Iraniens se sont organisés. Sur Instagram, le réseau social le plus utilisé en Iran, les messages se multiplient demandant à la diaspora iranienne d’interpeller les hommes politiques dans leurs pays de résidence. Un porte-voix non négligeable puisque plus de quatre millions d’Iraniens vivent à l’étranger. À Santiago du Chili, à Paris, à Los Angeles, à Londres, à Berlin … les images de très nombreuses manifestations de soutien aux protestataires iraniens ont fait le tour des médias.
D’ailleurs, en quelques jours, le hashtag Mahsa Amini en persan a généré plus de 100 millions de tweets mentionnant le nom de la jeune femme devenue l’icône des bavures commises par la police des mœurs iraniennes.
Malgré la menace, depuis l’Iran, le réalisateur Asghar Farhadi, internationalement connu pour avoir reçu deux Oscars et deux prix au festival de Cannes, a lui aussi appelé à soutenir les manifestations hors des frontières. « J’invite tous les artistes, cinéastes, intellectuels, militants des droits civiques du monde entier (…) à exprimer leur solidarité avec les femmes et les hommes puissants et courageux d’Iran en faisant des vidéos, en écrivant ou de n’importe quelle autre façon », a-t-il exprimé dans un message vidéo posté sur Instagram dimanche. « Cela peut renforcer l’espoir des Iraniens d’atteindre ce bel et monumental objectif qu’ils recherchent ici, le pays où je ne doute pas que les femmes seront les pionnières des transformations les plus significatives ».
Beyoncé et d’autres stars mondiales ayant pris position de nombreuses fois en faveur des droits des femmes ont elles aussi été interpellées par les Iraniens. Une mobilisation qui a porté ses fruits puisque des célébrités aux millions d’abonnés se sont emparées à leur tour des réseaux sociaux pour exprimer leur indignation.
L’actrice Eva Mendes, dont le post a été commenté plus de 44 000 fois, la mannequin Bella Hadid, le chanteur Justin Bieber, l’actrice Jessica Chastain ou encore le chanteur des Pink Floyd Roger Waters ont suivi le mouvement. Leurs messages ont été partagés à leur tour par les fans, provoquant une vague de soutien mondialisé.
#MahsaAmini is an Iranian woman who was beaten to death last week in a “re-education center” for not wearing her hijab correctly.
Her death lead to thousands of Iranians taking to the streets, demanding an end to violence and discrimination against women. pic.twitter.com/8OEsuLILeI
— Jessica Chastain (@jes_chastain) September 25, 2022
* Le prénom a été changé