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Ajar-Paris, le premier roman de l’écrivaine Fanta Dramé, s’ouvre sur un événement : la disparition de la grand-mère adorée de toute une tribu familiale. Le décès a lieu à Paris, mais c’est à Ajar, en Mauritanie, que l’aïeule est inhumée. Sous le coup de l’émotion, l’autrice décide de se rendre aux funérailles, effectuant ainsi son premier voyage sur la terre natale de son père.
« Ajar. J’entendais ce nom depuis toujours. Située dans le désert mauritanien, on en parlait comme d’une contrée lointaine, si lointaine qu’on avait l’impression qu’elle n’existait pas, qu’elle sortait tout droit de l’imagination de mes parents, comme dessinée par le verbe d’une fable ancestrale. […] Puis avec le temps, ce village était devenu un sujet de moquerie. On disait de certaines personnes : C’est normal qu’il ne soit pas civilisé, il vient d’Ajar. »
Nous sommes en 2013, mais aux yeux de la jeune femme, la localité ressemble bien à ce qu’en rapporte la légende familiale. Le temps semble s’y être arrêté, toute connexion à Internet est impossible et l’ennui pointe vite malgré les rencontres et activités liées aux cérémonies du deuil. Ce bref voyage va pourtant être le détonateur d’un projet d’écriture : Fanta Dramé entend retracer le parcours de son père, depuis ce berceau des origines, quitté quarante ans plus tôt, jusqu’à la France, où il est devenu le patriarche d’une vaste constellation familiale.
« Je vais raconter ta vie dans un livre.
– Mais pourquoi ?
– Parce que je ne comprends pas comment tu as pu commencer ta vie à Ajar, décider un jour de tout quitter, traverser la Mauritanie puis la Méditerranée, arriver en France et enfin rejoindre Paris, alors que moi, je ne vais même pas dans le 77. »
Combler les vides
Jusqu’alors, Fanta Dramé ne s’était jamais véritablement posé la question. C’est en découvrant le village qu’elle appréhende soudain la véritable envergure de l’itinéraire de son père, en particulier le courage et la détermination dont il a dû faire preuve tout au long de sa vie. Formé à l’école coranique, ce dernier pouvait déchiffrer l’arabe mais ni lire ni parler le français lorsqu’il a embarqué, au milieu des années 1970, sur un cargo vers l’Europe, poussé par l’intuition qu’il devait aller saisir sa chance ailleurs.
Fanta Dramé commence par combler les vides et remettre dans l’ordre les différents épisodes de ce cheminement, à commencer par le point de départ : l’idée même que le futur émigrant se faisait de ce voyage. Une idée entretenue par le récit fantasmatique des pairs installés à l’étranger ou de retour :
« On lui avait tant parlé du Grand Départ. Il avait consacré des heures à veiller le soir, à écouter les ultimes conseils de ceux dont le cousin, l’ami ou une connaissance quelconque étaient déjà passés par là. On lui répétait la facilité de la vie en France, ce pays magique, cette terre jugée promise où tout réussissait une fois le pied posé sur son sol. Tu verras, dès le jour de ton arrivée, tu trouveras un travail. »
C’est tout une vie qui finalement se construit et, pour la narratrice, un arbre généalogique qui se solidifie
Parti innocemment sans papiers – il n’en possède tout simplement pas –, Yely Dramé va découvrir la complexité et l’importance des procédures administratives qui pèseront durablement sur le cours de son existence. Il réussit néanmoins à se faire embaucher comme manutentionnaire d’aéroports puis comme éboueur à la Ville de Paris, et à mener une vie d’honnête travailleur, puis d’époux et de père de famille. Du mariage au regroupement familial, des faux papiers à la carte de séjour, de Trappes (Yvelines) au quartier de Belleville (Paris), c’est tout une vie qui finalement se construit et, pour la narratrice, un arbre généalogique qui se solidifie.
Simplicité et grandeur
Née en 1987 en France de ce père mauritanien et d’une mère sénégalaise, Fanta Dramé est aujourd’hui enseignante de lettres en région parisienne. Il n’est sans doute pas indifférent, parce que précisément son travail consiste à transmettre par les livres, que, de toute sa fratrie, elle soit celle qui s’attelle à retranscrire la trajectoire paternelle. Elle donne ainsi à ce destin, empreint d’ambition tout autant que de modestie, une dimension héroïque.
Une vie réussie, en somme, malgré un statut professionnel peu valorisé : le destin d’un immigré tout simple, auquel le livre permet de redonner toute sa grandeur. « Je savais pertinemment en écrivant ce roman que mon père ne le lirait jamais, conclut-elle. Mais il est là le livre de mon père, et c’est bien cela le plus important. »
Ajar-Paris, de Fanta Dramé, éd. Plon, 208 pages, 19 euros.