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Au Tchad, après la répression du 20 octobre, 342 manifestants condamnés et une junte sous pression

Au Tchad, après la répression du 20 octobre, 342 manifestants condamnés et une junte sous pression


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Le tribunal de grande instance de N’Djamena, le 5 décembre 2022.

La masse de personnes jugées, comme le lieu et les conditions de ce procès, indiquaient l’intention des autorités de N’Djamena de faire un exemple. Après quatre jours d’audiences à huis clos dans une prison de haute sécurité bâtie en plein désert, sans la présence des avocats de la défense – en grève pour refuser de cautionner cette « parodie de justice » – et sous le regard de la seule télévision d’Etat, la justice tchadienne a condamné, vendredi 2 décembre, 342 des 401 personnes arrêtées en lien avec les manifestations du 20 octobre puis transférées à Koro Toro.

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En raison de l’éloignement de ce « bagne » (600 km au nord-est de la capitale), réputé ne serait-ce que pour la dureté des conditions climatiques, l’information n’a été rendue publique que lundi par le procureur de la République. Les peines prononcées, notamment pour « violences et voies de fait », « destruction de biens » et « troubles à l’ordre public », vont de deux à trois années de détention ferme pour 262 prévenus, tandis que 80 autres ont été condamnés avec sursis.

Alors que les avocats de la défense ont déjà annoncé leur intention de faire appel, les quelque 80 mineurs raflés pendant ou après les manifestations qui avaient secoué la capitale et plusieurs villes de province ont été ramenés à N’Djamena, après plus d’un mois de détention préventive, pour y être présentés à des juges pour enfants, selon le parquet. Si des remaniements ont depuis été opérés dans l’appareil sécuritaire, aucune poursuite n’a en revanche été lancée contre les agents des forces de l’ordre ou leurs responsables impliqués dans la répression.

L’opposant Succès Masra exilé aux Etats-Unis

Depuis le 20 octobre au soir et la reconnaissance par le gouvernement que la journée de fièvre contestatrice avait provoqué « une cinquantaine de morts », parmi lesquels une dizaine de policiers ou gendarmes, et « près de 300 blessés », organisateurs de la manifestation et pouvoir se sont engagés dans une lutte où se mêlent actions judiciaire, diplomatique et communication. L’enjeu principal étant de discréditer l’autre camp en lui faisant porter la responsabilité de la tuerie – et le disqualifier ainsi des prochaines échéances électorales.

En dépit des condamnations de l’Union africaine, de l’Union européenne ou des Etats-Unis, Mahamat Déby avait dès le 24 octobre soutenu que ces marches étaient en réalité une « insurrection minutieusement planifiée pour créer le chaos dans le pays », pointant « la volonté manifeste de déclencher une guerre civile » avec « le soutien de puissances étrangères ». Ces dernières ne sont pas nommées, mais dans le viseur du président de transition se trouvent la plateforme de la société civile Wakit Tama, l’opposant Yaya Dillo, qui dispose d’importants réseaux familiaux dans l’armée, et surtout celui qui fait aujourd’hui figure de principal rival sur la scène politique : le leader des Transformateurs, Succès Masra. Après avoir suspendu les activités de ces partis, certains au sein du pouvoir envisagent une ferme condamnation judiciaire de leurs dirigeants, les excluant ainsi du jeu électoral.

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Menacé localement, Succès Masra a donc choisi de porter sa réponse sur la scène internationale. Comme l’a révélé Le Monde, après avoir quitté le pays, ce dernier a transmis le 9 novembre au procureur de la Cour pénale internationale (CPI) une requête pour l’ouverture d’une enquête sur des faits présumés de crimes contre l’humanité. Rejetant la prolongation de vingt-quatre mois de la transition et plus encore la permission finalement offerte à Mahamat Déby de concourir à la future élection présidentielle, Succès Masra accuse le pouvoir en place de « créer les conditions d’une guerre civile pour imposer son plan de succession dynastique au profit d’une branche clanique de l’armée ». Exilé désormais aux Etats-Unis, l’opposant tente d’infléchir le soutien de Washington à N’Djamena.

Inquiet de ces démarches, le gouvernement de transition a envoyé en novembre les ministres de la justice et de la communication plaider sa cause à Genève devant le Haut Commissiariat des Nations unies aux droits de l’homme, puis à La Haye devant le procureur de la CPI.

Un revirement qui embarrasse Doha et Paris

Les espoirs d’ouverture suscités après la mort d’Idriss Déby, en avril 2021, puis par le dialogue national qui s’est tenu entre août et octobre, semblent aujourd’hui éteints. Si Mahamat Déby a pu s’entourer de personnalités de l’opposition, comme l’actuel premier ministre Saleh Kebzabo, et faire revenir au pays des figures des rébellions passées, replacées dans l’appareil d’Etat, « il reste prisonnier du système qui l’a porté à sa tête », juge une source à la présidence tchadienne.

Selon l’entourage du président Mahamat Déby, sa candidature à la prochaine élection ne fait guère de doute

Clé de voûte d’un régime militarisé où la communauté zaghawa reste prévalente, le général de 38 ans, héritier de son père, a déjà renié sa promesse initiale de céder le pouvoir après dix-huit mois de transition. Selon son entourage, sa candidature à la prochaine élection ne fait guère de doute. Mais ce revirement embarrasse le Qatar, facilitateur des discussions entre le pouvoir et les groupes rebelles, tout comme la France, premier soutien diplomatique de N’Djamena, son allié dans la lutte contre les groupes djihadistes au Sahel et hôte d’une base de l’armée française.

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« Mahamat Déby a très mal réagi au message de l’émir du Qatar l’invitant à ne pas se présenter à la fin de la transition, d’autant que Paris et Washington sont en phase sur ce point, relate une personnalité au fait des tractations en coulisses. Mais derrière toute cette communication, la réalité est là : s’il n’arrive pas à consolider son pouvoir par la réconciliation plutôt que par la répression, il n’est pas sûr que son propre clan, qui ne veut pas voir son avenir compromis par des poursuites, le soutienne. »

Pour la France, l’équation est complexe. « Le Tchad est un pays particulier dans un environnement conflictuel où les Russes commencent à s’inviter et alors que se développe un sentiment antifrançais, poursuit la même source. Paris reste très prudent, mais cette situation est gênante. Car si les militaires tchadiens peuvent se maintenir au pouvoir, comment pourra-t-on dire aux putschistes maliens, guinéens ou burkinabés de ne pas faire de même ? »

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