Devant le café First Point, à Kiev, le froid de l’hiver commence à mordre les visages et le générateur fait un boucan d’enfer. Les tables de la terrasse sont désertées et nul ne sort plus fumer une cigarette. A l’intérieur de ce café branché du quartier de Podil, en revanche, l’ambiance est sereine. Les jeunes s’habituent aux restrictions et discutent à la lueur des bougies. Certains travaillent sur leur ordinateur jusqu’à épuisement de la batterie.
C’est au First Point que Pavlo Kaliuk et ses amis ont tenu leur première « réunion de guerre », quatre jours après l’invasion russe de l’Ukraine, le 24 février, afin de voir comment les gens du quartier pouvaient s’entraider. Depuis qu’il a créé sur Facebook, après la révolution de Maïdan, en 2014, le groupe Podolianochka (littéralement « podilienne », soit une habitante de Podil), Pavlo a établi un réseau de 6 000 membres, dont les 500 plus actifs correspondent sur la messagerie Signal. « Avec les bombardements et le couvre-feu, sans transports publics, Podil était un peu déconnecté du reste de Kiev, raconte l’activiste. Alors le sentiment de communauté locale s’est renforcé. »
A l’époque, aux premières réunions, on discute de la fabrication des cocktails Molotov qu’il faudra jeter sur les chars russes s’ils entrent en ville, de l’achat de fusils et de l’entraînement au tir, de l’approvisionnement en talkies-walkies et en batteries si les réseaux électrique et téléphonique sont coupés. Après l’échec de l’armée russe à conquérir Kiev et son retrait de la région, l’esprit de communauté a perduré. « Le sentiment de pouvoir mener des actions ensemble » est encore plus fort dans l’adversité, raconte Pavlo Kaliuk.
Ces temps-ci, alors que de surcroît l’hiver arrive, le réseau Podolianochka permet de trouver des médicaments et de réunir des vaccins contre la grippe. Les activistes investissent aussi des appartements avec des cheminées et commandent du bois, pour que les habitants puissent s’y rassembler si un jour le chauffage était définitivement coupé dans les immeubles.
Position stratégique
La vie à Kiev est marquée par les attaques aériennes russes qui, depuis le 10 octobre, détruisent méthodiquement les infrastructures civiles. Quand elle n’est pas coupée à cause des bombardements des centrales électriques par les missiles et les drones, l’électricité est rationnée, entre « coupures programmées » et « arrêts d’urgence ». Les services techniques du gouvernement, de la municipalité et de l’opérateur Ukrenergo l’appliquent à certains quartiers à certaines heures, puis aux quartiers suivants. Diverses applications, créées en quelques jours, permettent aux Kiéviens de consulter sur leur téléphone les heures de coupure prévues dans leur quartier.
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