Encore une fusillade meurtrière a eu lieu aux États-Unis le 6 mai dernier, cette fois-ci au Texas. Cette tuerie s’ajoute à une série de fusillades survenues récemment dans différents États, y compris dans une école primaire du Kentucky et du Tennessee. Face à cet énième drame, le président Joe Biden a appelé à réguler les armes à feu, mais cette initiative risque de ne pas aboutir face à l’opposition de la majorité du Congrès.
Mais pourquoi cette opposition farouche à l’interdiction, ou même juste à la régulation, des armes à feu aux États-Unis ? Les raisons semblent être liées à la glorification des libertés individuelles et au rejet de l’intervention de l’Etat par de nombreux citoyens américains. Mais comment expliquer cet individualisme farouche et coriace qui semble être ancré dans la société américaine depuis des siècles ?
Une étude publiée dans la revue « Econometrica » en 2020 et menée par Samuel Bazzi, Martin Fiszbein et Mesay Gebresilasse pourrait apporter une réponse à cette question. Cette étude se penche sur la fabrique historique du pays et sur la façon dont il a été colonisé. Ils expliquent que la conquête de l’Ouest des États-Unis s’est effectuée entre 1790 et 1890, par à-coups progressifs, en fonction de l’afflux des vagues de pionniers, principalement européens. Les flux migratoires dépendaient largement des circonstances dans leurs pays d’origine, liées notamment aux famines ou aux conflits. Du fait de ces aléas migratoires au cours de ce siècle de conquête, certains territoires restèrent longtemps en marge de la colonisation, tandis que d’autres furent conquis rapidement. Les auteurs reprennent une définition développée par les historiens de ce que l’on nomme communément le « Far West » : une densité de population en dessous de deux habitants par mile carré (1,25 habitant par kilomètre carré) et à moins de 100 kilomètres de la frontière de colonisation.
La vie dans ce Far West était rude, dangereuse et loin des centres urbains et du pouvoir étatique. Les habitants de ces territoires ne pouvaient compter que sur eux-mêmes pour survivre. C’est ainsi que les pionniers de l’Ouest américain ont forgé un individualisme indécrottable. Les enquêtes d’opinion n’existant pas à l’époque, les auteurs de l’étude ont croisé cent cinquante ans de données des recensements comprenant les prénoms donnés aux enfants avec leur localisation, et ils ont constaté que les prénoms originaux (par exemple Luke ou Lucinda, plutôt que John ou Sarah) étaient significativement plus nombreux dans les territoires du Far West. En effet, donner un prénom rare et original à son enfant révèle un désir de se démarquer. Les auteurs ont donc adopté cette variable comme mesure de l’individualisme. Ils ont également démontré que cet individualisme était garant de succès économique : les « individualistes » étaient plus riches dans le Far West qu’ils ne l’étaient dans les endroits colonisés depuis plus longtemps.
Cependant, l’étude ne justifie en aucun cas la possession d’armes à feu, qui reste l’une des principales causes des morts violentes aux Etats-Unis. Et face à l’opposition farouche à la régulation des armes à feu aux États-Unis, le débat risque de se prolonger pendant longtemps, laissant ainsi la porte ouverte à de nouvelles tragédies.