Les années rugissantes ne seront pas de retour. Les conjoncturistes avaient imaginé un scénario où l’économie mondiale connaitrait une période d’euphorie, après la mise à l’arrêt artificielle due à la pandémie. Cependant, les perspectives économiques ne sont guère encourageantes d’après les prévisions de croissance mondiale publiées par le Fonds monétaire international (FMI) le 11 avril dernier. En effet, l’institution anticipe désormais une croissance mondiale de 2,8 % cette année et de 3% en moyenne sur les cinq prochaines années, la pire perspective de moyen terme depuis 1990. La crise due au Covid-19 a bousculé la mondialisation en perturbant les chaînes d’approvisionnement. S’en est suivie une crise énergétique que l’invasion de l’Ukraine par la Russie n’a fait qu’exacerber, débouchant sur une période de forte inflation qu’on pensait révolue.
Les banques centrales sont contraintes d’intervenir en catastrophe en augmentant les taux d’intérêt, menaçant de ralentir trop brutalement une croissance déjà timide. Ainsi, la rapide est remontée du loyer de l’argent a commencé à provoquer des réactions en chaîne. À la faillite de banques régionales aux États-Unis s’est ajouté le sauvetage de Credit Suisse, dont la fragilité menaçait de déstabiliser le système financier. Les politiques monétaires sont donc à manier avec précaution.
Les chocs de ces trois dernières années ont uniquement aggravé la situation de surendettement de nombreux pays en développement. La hausse des taux, du dollar, des cours des matières premières agricoles et la nécessité de trouver dans l’urgence des financements pour lutter contre le changement climatique sont autant de défis qui s’accumulent, même en imaginant un apaisement des tensions internationales, improbable à ce stade.
Des deux côtés de l’Atlantique, ce que les économistes appellent l’inflation sous-jacente, c’est-à-dire l’évolution des prix hors énergie et alimentation, semble s’installer. Bien que la Réserve fédérale et la Banque centrale européenne aient déjà fait une grande partie du chemin nécessaire en matière de hausse des taux d’intérêt, ceux-ci ne sont pas près de descendre et, de toutes les façons, les effets des politiques monétaires sur l’inflation ne se feront pas sentir avant un à deux ans.
Il est impératif de prendre conscience que le rythme soutenu de la croissance de ces soixante dernières années n’a été qu’une parenthèse dans l’histoire de l’humanité. La croissance soutenue n’est pas l’avenir. Compte tenu du vieillissement démographique à l’échelle mondiale et de la raréfaction des ressources, l’urgence environnementale, la stabilisation de l’économie chinoise, le ralentissement économique est inéluctable. Cette perspective d’une économie mondiale plus contrainte impose d’être davantage vigilant sur la qualité de la croissance plutôt que sur sa quantité.
Ainsi, l’aide aux pays les plus pauvres et la lutte contre le changement climatique doivent être en tête de liste pour imaginer une prospérité qui soit compatible avec la finitude de la planète. Les économistes doivent s’adapter à cette nouvelle donne, car les années rugissantes ne seront pas de retour.