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Dans le Grand Nord canadien, la renaissance des tatouages faciaux des femmes inuit

Dans le Grand Nord canadien, la renaissance des tatouages faciaux des femmes inuit


Un «V» sur les tempes, des points sur les joues ou des lignes sur le menton : dans le Grand Nord canadien, les femmes inuit se réapproprient l’art du tatouage facial et ses vertus «thérapeutiques», bannis pendant des décennies par les Églises anglicane et catholique. 

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Les paupières fermées, à quelques centimètres de l’aiguille rutilante qui s’agite, Micheline Kilabuk-Cote, 37 ans, a décidé de tracer sur ses tempes le symbole de la fratrie qu’elle forme avec ses deux sœurs.

Cette habitante d’Iqaluit, la capitale du Nunavut, a «hâte» de franchir enfin ce pas qu’elle attendait «depuis si longtemps». Un tatouage que cette fonctionnaire voit comme un hommage à son héritage culturel et familial et à sa mère inuit, décédée lorsqu’elle avait 18 ans.

«Je n’ai pas eu la chance de vraiment me lier à elle et à sa culture en tant que telle», raconte cette femme, à la voix posée qui veut se «réapproprier» ce que sa mère, non tatouée, n’a pas pu avoir.

Visibles notamment sur le menton, le front ou encore la poitrine, les tatouages traditionnels étaient pendant longtemps un moyen de communication pour transmettre des informations sur la vie d’une femme, ses intérêts, ou son statut dans sa communauté. 

Certaines se faisaient tatouer sur les doigts et les mains pour honorer Sedna (la déesse de la mer). D’autres, sur les cuisses, pour signaler qu’elles étaient mères. 

Mais cette pratique s’est heurtée à l’opposition des Églises anglicane et catholique. Ces tatouages «étaient considérés comme diaboliques», explique à l’AFP Gerri Sharpe, présidente de Pauktuutit Inuit Women of Canada, qui représente les femmes inuit au Canada.

Petit à petit, la tradition s’est donc perdue.

Mais il y a quelques années, une artiste inuit a lancé un projet pour relancer la pratique après avoir appris que la dernière Inuk tatouée de façon traditionnelle était en train de mourir. Hovak Johnston se rend dans des collectivités du Nord pour y enseigner différentes techniques et permettre à des femmes inuit de tout âge de recevoir leurs marques.

Des personnalités publiques ont aussi contribué à la redécouverte de cet art : en 2019, à 25 ans, Mumilaaq Qaqqaq est devenue la première députée de l’histoire canadienne à porter un tatouage traditionnel inuit sur son visage.

Puis en 2021, Shina Nova, une chanteuse inuite et influenceuse, a publié des vidéos de sa séance de tatouage, visionnées plus de 40 millions de fois sur TikTok. 

«Sentiment de puissance»

«Partout où il y a des Inuits, il y a une forte demande», abonde Zorga Qaunaq, qui a récemment animé un atelier de formation auprès de six personnes, à Iqaluit. 

Cette employée dans un programme universitaire inuit réalise deux tatouages par semaine chez elle dans la capitale fédérale Ottawa — où se trouve la plus grande population d’Inuits en dehors du Grand Nord. Elle reçoit majoritairement des jeunes de 20 ou 30 ans, mais aussi quelques adolescentes. 

Cet art est pour certains Inuits un moyen de panser des traumatismes : «c’est thérapeutique», explique-t-elle.

Après avoir quitté le nord à l’adolescence, Zorga Qaunaq, 34 ans, s’est sentie «déconnectée» de sa culture. Se faire tatouer a été un moyen d’affirmer son identité en dépit d’un contexte de «racisme systémique» envers les autochtones. «Mes tatouages me donnent un sentiment de puissance.»

Même sentiment de «fierté» pour Gerri Sharpe, 52 ans qui arbore des marques visibles sur ses doigts, ses poignets et son visage.

Des tatouages «très significatifs et sacrés» qu’elle a tenu à montrer au pape lors de son voyage au Canada fin juillet, quand le souverain pontife est venu s’excuser pour les violences de l’Église envers les autochtones canadiens.

«C’était important pour moi de lui montrer que nous avions toujours nos tatouages, qu’ils sont toujours présents et revitalisés, qu’ils n’ont pas été perdus.»



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