« Dans les rues de la ville, j’ai remarqué qu’on parlait un peu moins de la guerre en Ukraine ou de la hausse des prix et un peu plus de basket. » Ces jours-ci, Paul Seignolle, le président de l’Abeille des Aydes de Blois, boit du petit-lait. Le Petit Poucet de la Betclic Elite (ex-ProA) – la première division du basket français – a enregistré trois succès en autant de matchs, contre Roanne, Villeurbanne et Paris. La prochaine rencontre est prévue, samedi 8 octobre, à domicile contre Fos-sur-Mer.
Un démarrage idéal pour un club découvrant le très haut niveau pour la première fois de sa longue histoire. « Je commence à recevoir des SMS de sympathie de dirigeants d’autres clubs. Tout à l’heure, c’était le numéro deux de Monaco », déclare, enchanté, celui qui est aussi le patron du Mouvement des entreprises de France (Medef) du Loir-et-Cher, qui file volontiers la métaphore entrepreneuriale.
« L’ADA Blois, vous voyez, c’est une TPE. » Il n’a pas tort. Même s’il est en hausse de 30 % cette année, le budget du club blésois – chiffré à 3,6 millions d’euros cette saison – est seulement le seizième des 18 équipes de la Betclic, soit « 40 % en dessous de la moyenne », précise Paul Seignolle, en tapotant sa calculette. Même Orléans, la ville voisine et rivale, en ProB (deuxième division), affiche une masse salariale supérieure. Alors comment expliquer ce début de saison hors norme ?
« C’est un peu facile, mais j’estime que c’est grâce à notre homogénéité. Sur le dernier match contre Paris, six joueurs ont marqué plus de 11 points ! Et puis l’équipe a une vraie colonne vertébrale. Mickaël Hay nous coache depuis 2013. Quant aux joueurs, Thomas Cornely et Tyren Johnson sont avec nous depuis plus de cinq ans. »
« On a presque doublé nos abonnés »
Tyren Johnson a été déterminant dans l’accession de Blois en Betclic Elite. Le joueur américain demeure indispensable. « A 34 ans, il reste performant, joue sans pression négative et sert volontiers de pont pour les nouveaux joueurs étrangers qui débarquent », déclare le manageur général, Julien Monclar. Aujourd’hui, le petit gars de La Vacherie, en Louisiane, revendique sa ville d’adoption haut et fort : sur une dernière « story » Instagram d’avant-match, dans la grisaille parisienne, il vantait la quiétude de la campagne blésoise.
Le club s’ajuste aussi à sa nouvelle dimension. Dans une semaine, il lancera le chantier de son ambitieux « centre de performance », sur le site d’une usine pharmaceutique désaffectée. Au Jeu de paume, la salle inaugurée en 2017 où évolue l’ADA Blois, le club a fait changer le parquet, l’éclairage et même le speaker. De jeunes influenceurs ont fleuri sous les poteaux les soirs de match : ils filment les dunks des joueurs puis les diffusent à grand renfort de beats hip-hop. « Juste en septembre, leurs séquences ont généré 210 000 vues sur Instagram », relève Johan Gallon, responsable de la billetterie et de la communication.
Sur Facebook, les fans de la première heure, aujourd’hui retraités, se motivent pour suivre leur équipe en minibus, à travers l’Hexagone. Christian Maupetit, 64 ans, éducateur sportif à la retraite et président de La Ruche, l’une des deux associations de supporteurs : « Avec la montée, on a presque doublé nos abonnés, et nos couturières ont fabriqué soixante drapeaux bien “flashy” pour les caméras de télé. On s’est aussi offert un nouveau tee-shirt avec l’abeille en grand ! »
« On n’est pas loin de refuser 1 000 personnes par match »
Jean-François Huet, l’ancien gérant de l’hypermarché Leclerc de Blois, a convaincu le fiston, son successeur, de sponsoriser une tribune entière, introduisant le naming par la même occasion : « Avec cette troisième victoire, les médias nationaux vont commencer à nous regarder différemment. Notre niveau de notoriété est en train de monter, c’est certain ! »
Le président Seignolle, lui, a déjà fait ses comptes. « On n’est pas loin de refuser 1 000 personnes par rencontre… des places à 25 euros en moyenne, soit 450 000 euros de manque à gagner en fin de saison, regrette-t-il. C’est un fait, notre salle mérite plus que 2 339 places assises. Ce n’est pas faute de l’avoir signalé toutes ces années. »
Une remarque qui n’émeut guère Christophe Degruelle, le président de l’Agglopolys Agglomération de Blois, financeur important de l’ADA Blois et pour qui le club s’est transformé en « véritable outil de marketing territorial », capable de rendre le bassin plus attractif. « Nous ne sommes pas dupes. Certains élus confrontés à l’inflation galopante n’étaient pas rassurés de nous voir arriver dans l’élite, tranche Julien Monclar. Mais le Loir-et-Cher, c’est aussi de belles aventures économiques ! Je pense à l’usine de cosmétiques Sisley à Villebarou, aux ateliers Vuitton de Vendôme, au zoo de Beauval. »
Et pourquoi pas l’ADA. Pour ne pas dépendre des seules subventions de collectivités endettées, le club s’appuie fortement sur la billetterie. Il vend, par exemple, 40 % de ses places à un vivier de 250 entreprises abonnées, pour des prestations standards, VIP ou « premium ».
Avant de faire les bilans comptables, Julien Monclar espère faire le plein de points contre Fos-sur-Mer, samedi : « C’est un match vérité, parce qu’on sera face à un club comme nous : des petits gars de proB qui jouent en proA. »