NETFLIX – À LA DEMANDE – DOCUMENTAIRE
Même avec quatre ans de recul, les images restent stupéfiantes. Aussi bien celles de Carlos Ghosn arrêté par la police japonaise en descendant du jet privé de Nissan à l’aéroport de Tokyo-Haneda, le 19 novembre 2018, que celles du même homme, treize mois plus tard, s’échappant du Japon caché dans une malle. Grâce aux caméras de surveillance, on suit l’évasion pas à pas.
L’ancien patron de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi est toujours réfugié au Liban. Qu’est-ce qui a conduit le brillant ingénieur libano-brésilien de Beyrouth à Polytechnique, de Michelin à Renault, du statut de patron du premier producteur mondial de voitures à celui de paria ? C’est ce que Lucy Blakstad a reconstitué pour Netflix dans un documentaire aussi haletant que la vie de cet ancien maître du monde.
Bien payé et intouchable
Louis Schweitzer, l’homme qui a scellé l’entrée de Renault au capital de Nissan en 1999, donne les premières clés. Il a repéré Ghosn chez Michelin lorsqu’il cherchait la perle rare, à la fois capable de partir au Japon redresser un groupe en grande difficulté sans parler la langue du pays et, en cas de succès, de prendre sa suite à la tête de Renault. Face caméra, il explique son choix. Il rappelle aussi la première trahison : pour devenir PDG du groupe français, Carlos Ghosn s’était engagé à lâcher les rênes de Nissan. Ce qu’il n’a jamais fait, s’organisant pour garder les deux casquettes, devenant à la fois démesurément payé et intouchable. Personne ne l’a arrêté, et il l’a finalement payé très cher.
Difficile de comprendre un homme sans plonger dans son enfance, dans sa culture familiale. Là aussi Lucy Blakstad a trouvé deux témoins qui donnent des clés sur la jeunesse de Carlos Ghosn. Sa sœur, et surtout le journaliste Clément Lacombe, aujourd’hui directeur adjoint de la rédaction de L’Obs, qui explique comment il a retrouvé dans la presse libanaise la blessure originelle de l’enfant Ghosn : le mystérieux meurtre d’un prêtre, qui a conduit son père en prison.
Deux des plus proches collaborateurs de l’ancien patron de l’Alliance, Patrick Pélata côté Renault, et Hiroto Saikawa chez Nissan, racontent son style de management, ne cachant rien de « la façon dont il traitait le personnel : il se servait des plus talentueux, il se débarrassait des autres ». Plusieurs épisodes douloureux de la vie de Renault – les suicides au Technocentre, l’affaire des faux espions français à la solde de la Chine – soulignent qu’avant même que l’affaire n’éclate le doute sur le management était plus que permis.
Tout s’est compliqué pour Carlos Ghosn lorsqu’une loi a rendu obligatoire la publication des gros salaires au Japon et qu’il est devenu public que le sauveur iconique de Nissan gagnait… sept fois plus que le patron de Toyota ! « Là, il a commencé à perdre ses superpouvoirs », dit un témoin.
Entre-temps, l’homme, divorcé et remarié, avait d’ailleurs beaucoup changé, ce que le documentaire montre à travers sa transformation physique : le « cost killer » bedonnant aux lunettes démodées a corrigé sa myopie au laser, fait reculer sa calvitie avec des implants capillaires, s’est offert des costumes bien taillés. Ce qui n’a jamais empêché Carlos Ghosn d’être près de ses sous. Sa gouvernante au Japon montre comment elle devait déplacer les boutons de ses cols de chemise lorsqu’il prenait du poids. Fascinante et désolante vie des puissants.
L’évadé, l’étrange affaire Ghosn, documentaire de Lucy Blakstad (1 h 35).