Au-delà de la propagande, de nombreux experts estiment que pour Moscou, la stratégie de la peur et la dissuasion restent leurs ultimes cartes à abattre.
Stratégie de communication bien huilée, démonstration de force, aveu d’échec, ou les trois à la fois? Ce mercredi, le président russe Vladimir Poutine a supervisé l’entraînement de ses forces russes de dissuasion stratégique, soit des troupes chargées de répondre à la menace en cas de guerre nucléaire.
La télévision russe a montré l’équipage d’un sous-marin préparer le lancement d’un missile depuis la mer de Barents dans l’Arctique. L’exercice a aussi impliqué des avions à long rayon d’action Tu-95. En parallèle, l’homme fort du Kremlin a été filmé à plusieurs reprises, observant et commandant les différentes manœuvres.
« Les forces armées russes, et notamment celles de dissuasion stratégique nucléaire, sont prêtes à faire face et à répondre à une attaque nucléaire menée par l’un de nos rivaux et ce, conformément au plan de la fédération de Russie », a conclu, à la fin de l’exercice, le ministre de la Défense russe Sergueï Choïgou.
Propagande russe classique
Une mise en scène qui a de quoi surprendre. La veille de ces exercices, Washington avait notifié que les États-Unis avaient été avertis de ces tirs par Moscou, et qu’ils respectaient les engagements pris par Kremlin dans le cadre d’accords de défense. De fait, à quoi bon médiatiser à ce point ce qui est défini comme un simple exercice de « routine »?
« C’est un élément de plus dans une campagne de communication. Il y a quelques jours on voyait Poutine présider un conseil de défense, en France ce n’est jamais filmé, là c’est filmé en pleine guerre. C’est l’occasion de montrer le chef en train de tenir la barre, de prendre les problèmes à bras-le-corps. C’est l’occasion de montrer que c’est lui le patron, qui dispose de ces armes « , explique sur notre antenne Michel Goya, consultant défense pour BFMTV.
Toujours sur notre antenne, Thierry Arnaud, éditorialiste politique internationale, insiste lui aussi sur la volonté russe de diffuser cette séquence et d’en faire partie intégrante de sa propagande.
« L’exercice est classique, montrer que l’arsenal nucléaire fonctionne, tout cela se produit une fois par an. Ce qui ne l’est pas, c’est la mise en scène, montrer que la Russie reste une grande puissance nucléaire et militaire. C’est la seule carte qui reste dans le jeu de la Russie pour montrer qu’elle peut faire peur au reste du monde », insiste-t-il.
Ce timing, selon Lova Rinel, chercheuse associée à la Fondation pour la recherche stratégique, est également un prétexte pour Vladimir Poutine de rassurer sa population alors que la gestion de l’armée russe est de plus en plus remise en cause. « C’est montrer qu’il y a des dysfonctionnements, mais ‘je reste le chef d’une armée qui fonctionne' », indique-t-elle.
Aveu de faiblesse et message envoyé
Une autre lecture de cette nouvelle sortie de Vladimir Poutine est également possible. Invité sur notre antenne à la mi-journée, Cédric Mas, historien militaire et président de l’Institut Action Résilience, parle lui « d’un faux bluff » et d’une puissance « plus visible par personne. »
« Montrer sa puissance, soit c’est parce qu’on a pas envie de l’employer, soit c’est parce qu’elle n’est plus visible sur le terrain. Aujourd’hui, j’ai plutôt tendance à pencher sur la deuxième hypothèse. Si ses armées étaient en capacité de gagner, victorieuses sur le terrain, ce qui n’est pas du tout le cas aujourd’hui, il n’aurait pas besoin de faire ce type de gesticulations », analyse-t-il.
Depuis plusieurs semaines, la Russie tente également d’inverser le narratif de cette guerre, en accusant le gouvernement ukrainien de possibles agressions et ainsi essouffler la résistance de Kiev et ses soutiens. Le week-end passé, les autorités russes avaient ainsi averti du possible emploi d’une « bombe sale » par Kiev, qui ne repose sur aucune réalité militaire.
« On est dans une offensive informationnelle. Je vous rappelle que depuis cet été, nous avons dans la propagande pro-russe le fait que nous Européens nous ne passerons pas l’hiver. Depuis quelques semaines, nous assistons à une précipitation qui confine à la panique du côté russe, pour justement faire le maximum pour qu’avant l’hiver nous retirions notre soutien à l’Ukraine. C’est un message à l’Occident », complète Cédric Mas.
En guise de conclusion, Lova Rinel l’assure, de cette séquence ne résulte « pas d’augmentation de l’alerte nucléaire. »
« La dissuasion est une musique qui se répète en temps de guerre et de paix, et c’est quand elle s’arrête qu’on doit s’inquiéter. Il n’avait pas le choix que de continuer cet exercice qu’on attendait », conclut-elle.