Pour ne rien manquer de l’actualité africaine, inscrivez-vous à la newsletter du « Monde Afrique » depuis ce lien. Chaque samedi à 6 heures, retrouvez une semaine d’actualité et de débats traitée par la rédaction du « Monde Afrique ».
Un peu plus de 4 kg, 450 pages grand format (25,5 cm x 34 cm), 400 photos couleur, plus de 200 notices explicatives… Le très beau livre Textiles africains, édité par la maison Citadelles & Mazenod, met en lumière l’art trop méconnu du tissage sur le continent. Coton, laine, soie, raphia, chanvre, écorce, peau : les matériaux se succèdent au fil des pages en une myriade de techniques et de couleurs. Tentures nuptiales ou d’apparat, vêtements du quotidien (boubous, pagnes, jupes, tuniques, châles…) ou encore tenues talismaniques, le répertoire est riche.
« Le textile et l’esthétique vestimentaire sont sans doute l’une des formes les plus significatives et les plus ancestrales de l’art africain, rappelle dans son introduction Duncan Clarke, chercheur indépendant et marchand de textiles. Si l’attrait souverain de la sculpture africaine est indéniable, il a trop tendance à éclipser la place du tissu dans les grandes réalisations des hommes et des femmes de ce vaste continent », ajoute le spécialiste, diplômé de la School of Oriental and African Studies de l’université de Londres.
Restait à exposer toute la diversité de ces textiles africains dans une seule et même somme. Une tâche à laquelle s’est tout particulièrement consacrée l’iconographe Salomé Perrineau, en lançant des campagnes photographiques dans des collections privées et des musées comme celui du Quai Branly-Jacques Chirac à Paris, le British Museum à Londres ou le Musée national d’ethnologie de Lisbonne, où sont conservés des textiles rarement accessibles, souvent en mauvais état et donc très fragiles.
« Des noms méconnus d’étoffes prestigieuses »
L’ouvrage, qui met en valeur « des noms méconnus d’étoffes prestigieuses, comme le kpokpo de Sierra Leone dont les teintures et les rayures évoquent le Bauhaus ou les dessins sur les écorces battues murumba rappelant des tableaux de Joan Miró », selon la créatrice de mode MabatNgoup Ly Dumas, s’articule autour de trois grands chapitres : Afrique de l’Ouest, centrale et de l’Est.
Le Mali et le Niger sont les premiers pays évoqués avec les tentes de mariages des nobles peul et touareg faites de panneaux de laine aux motifs intriqués parfois longs de six mètres ou les linceuls de coton blanc et bleu enveloppant le corps des défunts chez les Dogon. Dans la région du delta intérieur du fleuve Niger et près du Burkina Faso, le tissage de la laine était une activité réservée aux hommes, généralement des griots. Parmi les réalisations, on trouve la kaasa, une couverture à six bandes sur fond blanc, frangée de fines tresses à glands et le plus souvent ornée de motifs.
Dans le sud du Nigeria, la tenue de tous les jours faisait, elle, la part belle au kijiipa, une fine cotonnade, blanc et bleu indigo, tissée par les femmes yoruba. Dans le califat de Sokoto (actuel nord du pays), les étoffes tissées par lés (largeur d’une pièce d’étoffe) se sont imposées dans toute l’Afrique de l’Ouest comme la dominante de l’apparat masculin. Une diversité du textile nigérian qui provient de la rencontre de deux techniques : le métier vertical à une lice, ancien et surtout employé par les femmes, et le métier à deux lices, longtemps resté l’outil des hommes.
« Une ressemblance avec le velours »
Au Congo, la tradition textile est ancrée dans les cultures de deux puissants Etats : les royaumes affiliés aux Kongo et la confédération des Kuba. « Les textiles issus des traditions kongo sont tissés à partir de fibres de raphia, matériel qui représente un défi technique car il ne peut être filé en grandes bandes comme le coton ou la laine. Et il est difficile à teinter. Les artistes arrivent à transformer les fibres brutes issues de feuilles en de fils assez fins, note Vanessa Drake Moraga, chercheuse indépendante et conservatrice à Berkeley, en Californie. Dans le cas des textiles kuba, ils peuvent avoir une ressemblance avec le velours, avec des techniques complexes de décoration comme la broderie à poils coupés utilisés pour les tissus cérémoniels dans la région du Kasaï. »
En Afrique de l’Est, de l’Ethiopie jusqu’au Mozambique, le filage et le tissage étaient surtout une affaire d’hommes, maniant les fibres de coton, le raphia, la soie sauvage ou les écorces. Des matières transformées en bandes, carreaux, avec des fils de trame supplémentaires, des jeux de torsion, des perlages, des broderies, des estampages. Certaines communautés ont conservé une préférence pour le non-tissé, c’est-à-dire l’écorce battue et les peaux animales, parfois ornées de perles, de broderies ou de motifs au pochoir.
Insertion de perles de verre ou d’étain
Au fil des siècles, les tisserandes malgaches ont eux aussi créé leurs propres traditions en les adaptant à chacune des régions de la Grande Ile. Au XIXe siècle, les femmes des hauts plateaux travaillaient une grande variété de fibres : coton, chanvre, raphia, fil de bananier et plusieurs sortes de soies. Le principal embellissement consistait en des jeux de rayures, avec une palette de rouge, noir, bleu foncé et jaune. Les belles étoffes étaient généralement pourvues de motifs supplémentaires aux deux extrémités dans le sens de la trame, par un entrelacement des fils, l’insertion de perles de verre ou d’étain ou l’ajout de bandes tissées.
L’ouvrage, souligne Duncan Clarke, a le mérite de réunir « dans un seul volume un ensemble de pièces parmi les plus belles et les plus représentatives que conservent les musées et les collections privées du monde entier ». Une somptueuse manière de « célébrer les artistes du passé tout en servant de référence à ceux du présent et de l’avenir, qu’ils travaillent en Afrique ou ailleurs ».
Textiles africains, de Duncan Clarke, Vanessa Drake Moraga et Sarah Fee (éd. Citadelles & Mazenod, 2022, 450 pages, 165 euros).