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« Textiles africains », une ode à la richesse des tissages du continent

« Textiles africains », une ode à la richesse des tissages du continent


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Pagne cérémoniel féminin, peuple Shoowa (Kuba), République démocratique du Congo, fin du XIXe siècle. Fibres de raphia, point de tige et broderie à poils coupés, 66 cm x 145 cm (Los Angeles, Fowler Museum at UCLA).

Un peu plus de 4 kg, 450 pages grand format (25,5 cm x 34 cm), 400 photos couleur, plus de 200 notices explicatives… Le très beau livre Textiles africains, édité par la maison Citadelles & Mazenod, met en lumière l’art trop méconnu du tissage sur le continent. Coton, laine, soie, raphia, chanvre, écorce, peau : les matériaux se succèdent au fil des pages en une myriade de techniques et de couleurs. Tentures nuptiales ou d’apparat, vêtements du quotidien (boubous, pagnes, jupes, tuniques, châles…) ou encore tenues talismaniques, le répertoire est riche.

« Le textile et l’esthétique vestimentaire sont sans doute l’une des formes les plus significatives et les plus ancestrales de l’art africain, rappelle dans son introduction Duncan Clarke, chercheur indépendant et marchand de textiles. Si l’attrait souverain de la sculpture africaine est indéniable, il a trop tendance à éclipser la place du tissu dans les grandes réalisations des hommes et des femmes de ce vaste continent », ajoute le spécialiste, diplômé de la School of Oriental and African Studies de l’université de Londres.

  • Pano de Obra, peuple Papel, Guinée-Bissau, milieu du XXe siècle. Coton mécanique, armure de toile, décor en broché, en six lés, 114 cm x 182 cm (Lisbonne, Musée national d’ethnologie).

    Pano de Obra, peuple Papel, Guinée-Bissau, milieu du XXe siècle. Coton mécanique, armure de toile, décor en broché, en six lés, 114 cm x 182 cm (Lisbonne, Musée national d’ethnologie). Citadelles & Mazenod

  • Châle Akotifahana, peuple Merina, Madagascar, vers 1860-1870. Soie de Bombyx mori bobinée avec trames supplémentaires, 165,5 cm x 273 cm (Toronto, Musée royal de l’Ontario).

    Châle Akotifahana, peuple Merina, Madagascar, vers 1860-1870. Soie de Bombyx mori bobinée avec trames supplémentaires, 165,5 cm x 273 cm (Toronto, Musée royal de l’Ontario). Citadelles & Mazenod

  • Kpokpo, tenture d’apparat, peuple Vaï, Sierra Leone, XIXe siècle. Coton filé main, armure toile à effet de trame, décor en broché, en six lés, 425 cm x 142 cm (Brighton Museum and Art Gallery).

    Kpokpo, tenture d’apparat, peuple Vaï, Sierra Leone, XIXe siècle. Coton filé main, armure toile à effet de trame, décor en broché, en six lés, 425 cm x 142 cm (Brighton Museum and Art Gallery). Citadelles & Mazenod

  • Vêtement masculin, Ghana ou Togo, acquis avant 1850. Coton filé main et mécanique, armure toile à effet de chaîne et de trame, motif en lancé en trente-deux lés, 266 cm x 169 cm (Musée national du Danemark).

    Vêtement masculin, Ghana ou Togo, acquis avant 1850. Coton filé main et mécanique, armure toile à effet de chaîne et de trame, motif en lancé en trente-deux lés, 266 cm x 169 cm (Musée national du Danemark). Citadelles & Mazenod

  • Adanudo, vêtement masculin, peuple Ewé, Ghana ou Togo, vers 1900-1920. Coton mécanique, en vingt-deux lés, 170 cm x 251 cm (Princeton University Art Museum).

    Adanudo, vêtement masculin, peuple Ewé, Ghana ou Togo, vers 1900-1920. Coton mécanique, en vingt-deux lés, 170 cm x 251 cm (Princeton University Art Museum). Citadelles & Mazenod

  • Sarong à rayures, peuple Tanala, Madagascar, vers 1920. Raphia et coton, 130 cm x 69 cm (Chicago, Field Museum of Natural History).

    Sarong à rayures, peuple Tanala, Madagascar, vers 1920. Raphia et coton, 130 cm x 69 cm (Chicago, Field Museum of Natural History). Citadelles & Mazenod

  • Kpokpo Njawi, tenture ou vêtement d’apparat, Sierra Leone, début du XXe siècle. Coton filé main, coton mécanique rouge, armure toile à effet de trame, décor en lancé et broché, en neuf lés, 228,6 cm x 121,9 cm (Princeton University Art Museum).

    Kpokpo Njawi, tenture ou vêtement d’apparat, Sierra Leone, début du XXe siècle. Coton filé main, coton mécanique rouge, armure toile à effet de trame, décor en lancé et broché, en neuf lés, 228,6 cm x 121,9 cm (Princeton University Art Museum). Citadelles & Mazenod

  • Pagne cérémoniel ou funéraire féminin, peuple Mbun, République démocratique du Congo, fin du XIXe siècle (collecté vers 1906-1912). Fibres de raphia, armure toile avec décor en flotté, broderie, teintures naturelles, 73,7 cm x 102,9 cm (Cleveland Museum of Art).

    Pagne cérémoniel ou funéraire féminin, peuple Mbun, République démocratique du Congo, fin du XIXe siècle (collecté vers 1906-1912). Fibres de raphia, armure toile avec décor en flotté, broderie, teintures naturelles, 73,7 cm x 102,9 cm (Cleveland Museum of Art). Citadelles & Mazenod

  • Châle masculin brodé, Swahili résidant en République démocratique du Congo, vers 1900. Coton filé à la machine, trapunto brodé, bande terminale tissée, 169 cm x 60 cm (Toronto, Musée royal de l’Ontario).

    Châle masculin brodé, Swahili résidant en République démocratique du Congo, vers 1900. Coton filé à la machine, trapunto brodé, bande terminale tissée, 169 cm x 60 cm (Toronto, Musée royal de l’Ontario). Citadelles & Mazenod

  • Lainage, peuple Peul ou Songhai, Mali, vers 1900. Laine de mouton filée main (chaîne), laine de mouton filée main à teinture naturelle et coton blanc (trame), quatre lés larges d’environ 35 cm, 256,5 cm x 137,9 cm (Princeton University Art Museum).

    Lainage, peuple Peul ou Songhai, Mali, vers 1900. Laine de mouton filée main (chaîne), laine de mouton filée main à teinture naturelle et coton blanc (trame), quatre lés larges d’environ 35 cm, 256,5 cm x 137,9 cm (Princeton University Art Museum). Citadelles & Mazenod

  • Cameroun, Grassland, Foumban, peuple Bamoun, 1900-1936. Coton filé main, tissage en bandes, soixante lés, teinture à réserve par ligature à l’indigo, 327 cm x 171 cm (Chicago Art Institute).

    Cameroun, Grassland, Foumban, peuple Bamoun, 1900-1936. Coton filé main, tissage en bandes, soixante lés, teinture à réserve par ligature à l’indigo, 327 cm x 171 cm (Chicago Art Institute). Citadelles & Mazenod

  • Cap-Vert, île de Santiago, village de Mato Mendes, première moitié du XXe siècle. Coton filé main et mécanique, armure toile, décor en broché, en six lés, 215 cm x 95 cm, (Lisbonne, Musée national d’ethnologie).

    Cap-Vert, île de Santiago, village de Mato Mendes, première moitié du XXe siècle. Coton filé main et mécanique, armure toile, décor en broché, en six lés, 215 cm x 95 cm, (Lisbonne, Musée national d’ethnologie). Citadelles & Mazenod

  • Côte d’Ivoire, peuple Dioula, années 1920. Coton filé main, armure toile, décor en broché, en treize lés, 199 cm x 128 cm, (Newark Museum of Art).

    Côte d’Ivoire, peuple Dioula, années 1920. Coton filé main, armure toile, décor en broché, en treize lés, 199 cm x 128 cm, (Newark Museum of Art). Citadelles & Mazenod

Restait à exposer toute la diversité de ces textiles africains dans une seule et même somme. Une tâche à laquelle s’est tout particulièrement consacrée l’iconographe Salomé Perrineau, en lançant des campagnes photographiques dans des collections privées et des musées comme celui du Quai Branly-Jacques Chirac à Paris, le British Museum à Londres ou le Musée national d’ethnologie de Lisbonne, où sont conservés des textiles rarement accessibles, souvent en mauvais état et donc très fragiles.

« Des noms méconnus d’étoffes prestigieuses »

L’ouvrage, qui met en valeur « des noms méconnus d’étoffes prestigieuses, comme le kpokpo de Sierra Leone dont les teintures et les rayures évoquent le Bauhaus ou les dessins sur les écorces battues murumba rappelant des tableaux de Joan Miró », selon la créatrice de mode MabatNgoup Ly Dumas, s’articule autour de trois grands chapitres : Afrique de l’Ouest, centrale et de l’Est.

Le Mali et le Niger sont les premiers pays évoqués avec les tentes de mariages des nobles peul et touareg faites de panneaux de laine aux motifs intriqués parfois longs de six mètres ou les linceuls de coton blanc et bleu enveloppant le corps des défunts chez les Dogon. Dans la région du delta intérieur du fleuve Niger et près du Burkina Faso, le tissage de la laine était une activité réservée aux hommes, généralement des griots. Parmi les réalisations, on trouve la kaasa, une couverture à six bandes sur fond blanc, frangée de fines tresses à glands et le plus souvent ornée de motifs.

Tunique de chef ou de dignitaire, peuple Bamiléké, Cameroun (Grassland), première moitié du XXe siècle. Coton industriel, armure toile, broderie, indigo et teintures industrielles, 104,1 cm x 83,8 cm (New Haven, Yale University Art Gallery).

Dans le sud du Nigeria, la tenue de tous les jours faisait, elle, la part belle au kijiipa, une fine cotonnade, blanc et bleu indigo, tissée par les femmes yoruba. Dans le califat de Sokoto (actuel nord du pays), les étoffes tissées par lés (largeur d’une pièce d’étoffe) se sont imposées dans toute l’Afrique de l’Ouest comme la dominante de l’apparat masculin. Une diversité du textile nigérian qui provient de la rencontre de deux techniques : le métier vertical à une lice, ancien et surtout employé par les femmes, et le métier à deux lices, longtemps resté l’outil des hommes.

« Une ressemblance avec le velours »

Au Congo, la tradition textile est ancrée dans les cultures de deux puissants Etats : les royaumes affiliés aux Kongo et la confédération des Kuba. « Les textiles issus des traditions kongo sont tissés à partir de fibres de raphia, matériel qui représente un défi technique car il ne peut être filé en grandes bandes comme le coton ou la laine. Et il est difficile à teinter. Les artistes arrivent à transformer les fibres brutes issues de feuilles en de fils assez fins, note Vanessa Drake Moraga, chercheuse indépendante et conservatrice à Berkeley, en Californie. Dans le cas des textiles kuba, ils peuvent avoir une ressemblance avec le velours, avec des techniques complexes de décoration comme la broderie à poils coupés utilisés pour les tissus cérémoniels dans la région du Kasaï. »

Lire aussi Comment le wax fait croire qu’il est africain et étouffe les vrais tissus du continent

En Afrique de l’Est, de l’Ethiopie jusqu’au Mozambique, le filage et le tissage étaient surtout une affaire d’hommes, maniant les fibres de coton, le raphia, la soie sauvage ou les écorces. Des matières transformées en bandes, carreaux, avec des fils de trame supplémentaires, des jeux de torsion, des perlages, des broderies, des estampages. Certaines communautés ont conservé une préférence pour le non-tissé, c’est-à-dire l’écorce battue et les peaux animales, parfois ornées de perles, de broderies ou de motifs au pochoir.

Insertion de perles de verre ou d’étain

Au fil des siècles, les tisserandes malgaches ont eux aussi créé leurs propres traditions en les adaptant à chacune des régions de la Grande Ile. Au XIXsiècle, les femmes des hauts plateaux travaillaient une grande variété de fibres : coton, chanvre, raphia, fil de bananier et plusieurs sortes de soies. Le principal embellissement consistait en des jeux de rayures, avec une palette de rouge, noir, bleu foncé et jaune. Les belles étoffes étaient généralement pourvues de motifs supplémentaires aux deux extrémités dans le sens de la trame, par un entrelacement des fils, l’insertion de perles de verre ou d’étain ou l’ajout de bandes tissées.

L’ouvrage, souligne Duncan Clarke, a le mérite de réunir « dans un seul volume un ensemble de pièces parmi les plus belles et les plus représentatives que conservent les musées et les collections privées du monde entier ». Une somptueuse manière de « célébrer les artistes du passé tout en servant de référence à ceux du présent et de l’avenir, qu’ils travaillent en Afrique ou ailleurs ».

Textiles africains, de Duncan Clarke, Vanessa Drake Moraga et Sarah Fee (éd. Citadelles & Mazenod, 2022, 450 pages, 165 euros).

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