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« Nous vivons dans une société jeuniste, qui valorise la performance », déplore la psychologue Marie de Hennezel

"Nous vivons dans une société jeuniste, qui valorise la performance", déplore la psychologue Marie de Hennezel



Cette spécialiste des soins palliatifs et du grand âge évoque le paradoxe d’une société qui « dénie » la mort, mais qui l’érige en « liberté » en envisageant de légaliser l’euthanasie. Après quatre mois de travaux, clap de fin au palais d’Iéna. Les 184 membres de la convention citoyenne sur la fin de vie se retrouvent une dernière fois au siège du Conseil économique, social et environnemental (Cese), à Paris, dimanche 2 avril, pour adopter définitivement le rapport qu’ils remettront, lundi, à Emmanuel Macron. Durant neuf week-ends d’auditions et de débats, ces citoyens tirés au sort et venus de tous horizons ont élaboré des propositions autour de deux grands axes : améliorer la prise en charge des patients en fin de vie et envisager un accès à l’euthanasie ou au suicide assisté en France. Leurs conclusions alimenteront la réflexion du gouvernement, qui pourrait légiférer sur le sujet d’ici à la fin de l’année.

Secouée par les 165 000 morts du Covid-19 et confrontée à la crise de l’hôpital public, notre société s’apprête donc à ouvrir un débat sensible. Y est-elle prête ? La psychologue clinicienne Marie de Hennezel décrit un rapport « très paradoxal » des Français avec la mort, entre « déni » et « tabou » d’un côté et volonté de plus en plus affirmée de permettre à chacun de « maîtriser » ses derniers jours de l’autre. Dès 1987, et durant neuf ans, Marie de Hennezel a exercé auprès de personnes en fin de vie, au sein de la première unité de soins palliatifs créée en France, à Paris. Elle a tiré de cette expérience un livre à succès, La Mort intime (1995), préfacé par François Mitterrand, dont elle a été la confidente durant son long combat contre le cancer. En 2003, à la demande du gouvernement, elle a rendu un rapport intitulé « Fin de vie, le devoir d’accompagnement », qui a inspiré la première loi française spécifique aux droits des malades à l’approche de la mort, dite loi Leonetti de 2005. Aujourd’hui âgée de 76 ans, elle s’oppose à toute légalisation de l’aide active à mourir en France et milite pour une meilleure prise en compte des personnes âgées dans la société.

Franceinfo : Dans un récent rapport, le Conseil consultatif national d’éthique a relevé que « la fin de vie n’est plus perçue comme un temps essentiel de l’expérience humaine ». Partagez-vous ce constat ? Marie de Hennezel : Oui. On veut escamoter ce temps. On veut anticiper la mort ou être endormi dans les derniers moments. On considère que bien mourir, c’est mourir dans son sommeil, rapidement, sans déranger les autres. Or, le temps du mourir est précieux. Les derniers échanges qu’un mourant peut avoir avec ses proches lui permettent de partir apaisé et aident les autres à vivre un deuil différent.

N’oublions pas la rupture anthropologique qu’a constituée l’interdiction des visites lors de la crise du Covid-19. De nombreuses familles ont été privées des rituels d’adieu. Les dernières paroles et les derniers gestes sont irremplaçables. Ce sont des temps de méditation sur la finitude, une confrontation de chacun à sa propre mort. Le fait de pouvoir choisir le moment de sa mort ne permettrait-il pas de mieux organiser sa fin de vie et de redonner de la force à ce « temps essentiel » ? Je comprends que certaines personnes puissent se dire que c’est la seule manière de pouvoir être sujet de sa mort. Mais c’est quand même dommage. Le suicide assisté et l’euthanasie poseraient d’autres problèmes. Pensez aux proches. Ceux qui accompagnent la personne peuvent se sentir coupables de ne pas avoir réussi à la retenir à la vie. Ceux qui n’y vont pas se sentent coupables de ne pas avoir été là dans les derniers instants. Quoi qu’on fasse, on se sent coupable. C’est quand même assez violent.

Quant aux médecins qui pratiquent l’euthanasie, ce n’est pas anodin. J’en ai suivi en psychothérapie. Ils en faisaient des cauchemars après. C’est un acte radical, brutal.

Depuis une quinzaine d’années, vous animez des groupes de parole auprès de personnes retraitées. Quel est leur regard sur leur fin de vie ? Il y a deux publics. Les 60-80 ans que je rencontre souhaitent préserver leur autonomie et souvent pouvoir choisir le moment de leur mort. C’est une génération encore bien portante, qui veut maîtriser ses derniers moments. Pour les 80-100 ans avec qui j’échange, c’est complètement autre chose. Ils ne demandent pas d’injection létale, mais pensent tous à la mort et aimeraient en parler. Seulement, ils n’ont personne avec qui le faire. Les familles ne veulent pas souvent aborder la question, le personnel des résidences non plus. La solidarité intergénérationnelle s’effrite. Il y a une solitude immense.

Qu’ont envie de dire ces personnes âgées ? Elles appréhendent la mort en tant que destin de façon relativement apaisée. En revanche, elles redoutent la manière dont elles vont mourir, avec le spectre d’être transférées à l’hôpital et de finir sur un brancard aux urgences, comme cela arrive trop fréquemment. Leur crainte : être considérées un jour comme un poids pour la société. « Ne fera-t-on pas pression sur nous pour qu’on ait l’élégance de s’en aller ? », me confiait une femme de 86 ans. « Peut-être qu’on nous culpabilisera de vouloir rester en vie », m’a dit une autre. Nous vivons dans une société jeuniste, qui valorise la performance, la rentabilité, l’efficacité. Ces personnes le perçoivent très bien.

Une loi sur le grand âge, promise lors du précédent quinquennat et destinée à améliorer les conditions de vie des personnes en perte d’autonomie, a finalement été abandonnée. Comment l’interprétez-vous ? C’est un très mauvais signal, d’autant qu’il est désormais question d’une loi sur la fin de vie. La génération des baby-boomers commence à arriver dans les zones de fragilité du grand âge. Elle perçoit bien le manque d’investissements en matière d’accompagnement, d’habitat, de mobilité… Quand vous allez avoir presque 30% de la population en perte d’autonomie, ces personnes âgées risquent de se sentir comme un poids pour la société. Vous verrez qu’un certain nombre de personnes auront le sentiment d’une vieillesse indigne et récl

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