« Ils viennent de loin, il faut qu’ils montent sur scène. » Ce soir de décembre 1996, les jurés du concours musical qui se déroule à Divo, une commune située à une centaine de kilomètres au nord-ouest d’Abidjan, doivent insister, tandis que des sifflets et des huées retentissent dans le public. Les prochains artistes, qui patientent dans un coin de la scène, ont fait de la route, payé un plein de carburant et une nuit d’hôtel, ils joueront.
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« Les gens ne voulaient pas de nous, ils voulaient nous chasser parce que nous n’avions que des percussions pour nous accompagner. Les autres groupes avaient des batteries, des guitares… » se souvient Yodé dans un éclat de rire.
L’insistance du jury paie. Yodé et Siro, alors en groupe avec deux autres musiciens, Fifi et Bedel, débutent leur concert. La magie opère immédiatement. « Nous ne sommes pas redescendus de la scène de la soirée », s’amusent-t-il aujourd’hui sur la terrasse ensoleillée d’une brasserie parisienne.
Le premier grand tube
Dans la nuit, les quatre comparses repartent en trombe en direction d’Abidjan, portés par ce triomphe inattendu. À l’époque, ils jouissent déjà d’une certaine notoriété. Chaque week-end, ils enchaînent les animations, dans des maquis ou des mariages, principalement chez eux, à Treichville et Koumassi, deux communes populaires d’Abidjan. Ils sont parmi les premiers à avoir popularisé le zouglou, ce style musical très dansant né aux début des années 1990 dans les campus ivoiriens.
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« Dès que nous sommes arrivés à Abidjan, nous sommes entrés en studio et nous avons enregistré six tubes », raconte Yodé. Parmi ces hits, le célèbre Asec-Asante Kotoko. La chanson revient sur les scènes de violence qui ont émaillé un match de football entre l’équipe ivoirienne de l’Asec Mimosas et l’Asante Kotoko du Ghana. Le titre, qui parle à la jeunesse ivoirienne férue de ballon rond, tourne rapidement en boucle à la radio. « C’est bien vous que j’entends là ? » leur demande un vendeur du marché où ils ont leurs habitudes. Le premier plateau télé suivra, propulsant leur carrière.
Impossible de passer inaperçus
Ce 22 octobre, le duo a fêté ses vingt-cinq ans de carrière – six albums au compteur – lors d’un grand concert au Palais de la culture de Treichville, à Abidjan. Aujourd’hui, à Paris, il ne faut pas attendre très longtemps pour que les premiers fans s’approchent des deux amis aux silhouettes massives. « Vous êtes bien Yodé et Siro ? » Que ce soit chez eux en Côte d’Ivoire ou en France, où ils se produisent régulièrement, impossible pour les artistes de passer inaperçus. Ils se plient avec enthousiasme à la séance de selfies improvisée sur le trottoir.
Ils sont visiblement toujours très heureux de rencontrer leurs fans
Loin d’être blasés ou déboussolés par le succès, Dally Djédjé – Yodé – et Sylvain Aba – Siro – sont visiblement toujours très heureux de rencontrer leurs fans, mais aussi de se remémorer leurs souvenirs et de parler de leurs chansons. La vieille, le duo emblématique parrainait le concert, au Zénith de Paris, du groupe ivoirien Les Patrons. Ils étaient en coulisses pour encourager cette jeune garde du zouglou.
« Rester proches des gens »
Yodé et Siro se connaissent depuis leur adolescence, après une rencontre fortuite autour de percussions dans la commune très populaire de Koumassi. S’ils vivent désormais dans des quartiers plus huppés de la capitale économique, il leur arrive d’y retourner. « Nous essayons de vivre le plus humblement possible, de rester proches des gens », disent-ils. Un état d’esprit en lien direct avec leur musique.
Nous disons ce que le peuple pense
« Le zouglou n’est pas seulement une musique festive, c’est aussi une musique qui conscientise, qui oriente, qui critique, rappelle le duo. Nous disons ce que le peuple pense. Si le président prenait pour conseillers des artistes engagés, il verrait les choses autrement. »
Leur franc-parler leur vaudra quelques démêlés judiciaires. En 2020, ils sont condamnés à un an de prison avec sursis et à une amende de 5 millions de francs CFA (7 600 euros) pour avoir accusé le procureur de la République, Richard Adou, de ne poursuivre que les opposants dans un contexte de violences pré et post-électorales. Ils ne regrettent rien : « On a dit ce qu’on devait dire. Nous sommes dans notre rôle. »
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« Notre musique est née dans l’opposition. Quand Bédié était au pouvoir, on nous trouvait proches de l’opposition. Quand Gbagbo est arrivé, on nous trouvait proches de l’opposition. Quand Ouattara est venu, on nous trouvait proches de l’opposition. Nous gardons notre ligne. Le but de notre musique est de défendre les plus faibles », concluent-ils.
Faire bouger les lignes
Leur dernier morceau, baptisé Les 49, est un plaidoyer pour la libération des soldats ivoiriens détenus au Mali. Le titre cumule près d’un million de vues sur Youtube. « C’est une chanson pour accompagner la diplomatie dans cette affaire », expliquent-ils, convaincus que leur musique peut faire bouger les lignes, apaiser les tensions entre les deux pays ouest-africains voisins. « Nous sommes les porte-voix de notre pays », affirment-ils fièrement.
Depuis quelques temps, Yodé et Siro mènent aussi un autre combat, écologique celui-là. Ils ont uni leurs forces pour créer une fondation en faveur du reboisement dont l’objectif est de sensibiliser la jeunesse.