Ce qui semblait au départ être un coup de génie s’est vite avéré être un échec pour la jeune organisation des Nordiques. Car malgré sa glorieuse carrière, malgré l’admiration que lui vouait chacun de ses joueurs, Maurice Richard n’avait pas la flamme d’entraîneur-chef en lui.
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Et ça, l’équipe s’en est aperçue dès le camp d’entraînement, où le légendaire numéro 9 brillait par son absence, retenu en Russie par la fameuse Série du siècle. Il y accompagnait des amateurs de hockey.
« Je sortais des rangs juniors. Quand je suis arrivé à Québec, la première chose qui m’a frappé, c’est que j’étais bien excité à l’idée de travailler avec Maurice Richard. Mais au camp, il n’était même pas là. Ça faisait drôle… » raconte l’ancien gardien Richard Brodeur.
« Maurice Richard, c’était mon idole. C’était presque surréel de l’avoir comme entraîneur. Mais il n’était pas au camp, alors il n’était pas préparé. Quand il nous a rejoints, il ne connaissait aucun joueur », se rappelle l’ex-attaquant Michel Parizeau.
Les trios sur un papier
En l’absence de Maurice Richard, c’est Maurice Filion qui dirige le premier camp d’entraînement de l’histoire des Nordiques. Pour aider l’entraîneur-chef, Filion ira même jusqu’à composer les trios et les lui refiler sur un bout de papier avant le premier match.
Revenu au Québec quelques jours seulement avant la rencontre historique contre les Crusaders, à Cleveland, le 11 octobre 1972, Richard suit attentivement la liste concoctée par Filion tout au long de ce premier match. Et ce, même quand la situation sur la glace ne s’y prête pas.
« Quand je l’ai vu derrière le banc à Cleveland, je remarquais qu’on l’aidait à manier ses trios. Je me suis dit que ce n’était pas sa place ni sa façon de vivre », pointe Claude Bédard, ancien directeur des sports du Journal de Québec.
« Il aimait ses activités et sa solitude. Il a été un joueur inoubliable, mais être coach, ce n’était pas lui », ajoute-t-il.
rivalité Montréal-Québec
C’est en grande pompe que les Nordiques avaient présenté Maurice Richard aux partisans de la région de Québec.
Le 11 juillet 1972, le mythique attaquant du Canadien est invité à effectuer le lancer protocolaire avant le match de baseball des Carnavals, au Stade municipal, devant quelque 6000 spectateurs dans les gradins venus l’acclamer.
Cette réponse aussi positive de la foule ne devrait pas surprendre, mais il existe à l’époque des tensions entre le « Rocket » et les amateurs de hockey de la « Vieille Capitale ».
Avant même la naissance des Nordiques, Richard avait vécu les affres de la rivalité Québec-Montréal. L’un de ses fils avait été hué durant le Tournoi pee-wee, quelques années plus tôt.
Son frère cadet Henri avait aussi été chahuté pendant une visite du Canadien junior au Colisée, un endroit que Maurice Richard qualifiera de lieu « de fanatisme et d’ignorance du jeu de hockey » dans l’une de ses chroniques pour l’hebdomadaire Samedi-Dimanche.
Cet accueil positif de la foule québécoise prend le numéro 9 par surprise. Le 27 juillet, il paraphe le contrat d’entraîneur-chef des Nordiques à l’hôtel de ville de Québec, en présence du maire Gilles Lamontagne.
Richard ne s’entend pas à long terme avec l’équipe. Il préfère des pactes d’une saison, laisse savoir Claude Bédard dans un article qu’il signe ce jour-là. Son salaire « correspond aux revenus de ses meilleures années dans le hockey », peut-on aussi lire.
Le Canadien et Lucille
À ce moment, Maurice Richard a presque 51 ans. Il y a 12 ans qu’il a accroché ses patins. Jamais le Canadien, l’équipe qu’il a contribué à inscrire dans la légende, ne lui a proposé pareil poste.
« Il n’aurait pas dû prendre l’engagement de venir diriger les Nordiques parce qu’il n’a jamais été convaincu. C’est sous pression de sa femme [Lucille], qui en voulait beaucoup au Canadien, qu’il a décidé de venir à Québec », affirme Claude Bédard.
« Il n’était pas fait pour ça et il le savait, précise-t-il. J’avais déjà joué au golf avec lui et j’ai vite constaté que son tempérament ne cadrait pas avec beaucoup de choses. Il était très sévère et exigeant envers lui-même. Imaginez avec les autres ! Sauf que derrière un banc, tu es mieux de piler sur ton orgueil… »
L’aventure durera finalement le temps de deux matchs. Le 13 octobre, après la rencontre inaugurale au Colisée et malgré la victoire de 6 à 0 des Nordiques contre les Oilers de l’Alberta, Maurice Richard se rend à l’évidence : les grands joueurs ne font pas nécessairement de grands entraîneurs.
« Le lendemain, il était dans son auto pour Montréal et il n’est jamais revenu à Québec », se souvient Claude Bédard.
Filion prendra sa place derrière le banc pour le reste de cette première campagne.
« C’était un bon coup de marketing, mais pour nous, c’était désolant de voir ça, regrette Richard Brodeur. On se demandait où s’en allait cette affaire-là. »
– Avec la collaboration de Stéphane Cadorette
Un entraîneur vite dépassé par les événements
Maurice Richard était découragé après son premier match à la barre des Nordiques.
« J’ai scoré 544 buts dans la LNH. C’est la première fois de ma vie que je vois un club jouer 60 minutes sans toucher à la rondelle. Pensez-vous que je trouve ça drôle ? » a-t-il lancé aux journalistes Claude Bédard et Claude Larochelle, quelques heures après ce revers de 2 à 0 contre les Crusaders.
Il aura fallu aux deux hommes de longues recherches pour retracer l’entraîneur-chef après la rencontre. Des journalistes de partout s’étaient déplacés à Cleveland afin d’assister aux débuts du « Rocket » derrière le banc d’une équipe de hockey.
Mais après le match, il était impossible de retrouver Richard dans l’enceinte du vieux Cleveland Arena.
« Tout le monde voulait parler à Maurice Richard, qui venait de diriger le premier match de sa vie. Sauf que Maurice n’était pas là. Disparu ! » raconte M. Bédard, qui était alors directeur des pages sportives du Journal de Québec.
« En revenant à l’hôtel, on a vu Maurice caché dans le fond, dans la pénombre, avec une bière devant lui, derrière une grosse colonne. Quand il nous a aperçus, il a dit : “Qu’est-ce que vous faites icitte ?” », poursuit Claude Bédard.
Jeunes et inexpérimentés
Il faut dire que les Nordiques de 1972-1973 étaient loin d’avoir dans leurs rangs des joueurs aussi prestigieux que ceux qui ont fait les belles années du Canadien, à l’époque où Maurice Richard revêtait lui aussi l’uniforme bleu-blanc-rouge.
Il y avait bien sûr le défenseur Jean-Claude Tremblay, l’as du nouveau circuit à la ligne bleue. Mais derrière, on retrouvait bien peu de joueurs qui possédaient une expérience significative dans le hockey professionnel.
« On était une jeune équipe », rappelle l’ancien attaquant Robert Guindon, qui n’avait lui-même que 21 ans à l’époque.
« Étourdi par la tension »
Du lot, outre Tremblay, Michel Parizeau, Alain Caron, René LeClerc, Jean-Guy Gendron, François Lacombe et Brit Selby avaient joué pour une équipe de la Ligue nationale.
« De la façon dont il envoyait les joueurs sur la patinoire, on voyait qu’il n’était pas préparé, se remémore Michel Parizeau, qui est lui-même devenu entraîneur par la suite.
« Et il n’était pas non plus préparé mentalement, ajoute-t-il. Je pense qu’il n’était pas intéressé à la pression qui venait avec le poste d’entraîneur. Car ce n’est pas tout d’être derrière le banc. Il faut que tu fasses fonctionner ton équipe, que tu gagnes. »
Effectivement, le « Rocket » ne voulait pas subir pareille pression. Dans les pages du Journal de Québec du lundi 16 octobre, Claude Bédard écrit : « Depuis une semaine, Maurice Richard ne cesse de répéter : “C’est incroyable ce que je ressens. Je suis littéralement étourdi par la tension qui m’accable.” »
– Avec la collaboration de Stéphane Cadorette
Les joueurs devaient lever la main
Retenu loin de Québec durant le camp d’entraînement des Nordiques par la Série du siècle, Maurice Richard connaissait si peu les joueurs qui constituaient son équipe qu’il a dû prendre les présences lorsqu’il les a rencontrés pour la première fois.
« Je me souviendrai toujours de la première fois qu’il est arrivé dans la chambre. Il nommait les joueurs et il fallait lever notre main pour dire : c’est moi. Il ne savait pas ce qui se passait », se remémore Richard Brodeur, qui était alors un tout jeune gardien.
Honorés et impressionnés
En dépit de ces souvenirs cocasses ou du manque d’implication du « Rocket », les joueurs des Nordiques à qui Le Journal a parlé sont encore honorés, cinq décennies plus tard, d’avoir été dirigés par leur « idole ».
« C’était très impressionnant, se rappelle Réjean Giroux. Maurice Richard, c’était l’idole du Québec. Quand il sautait sur la glace, il patinait plus que nous. On voyait que l’instinct du joueur était encore là. »
Jeune attaquant en 1972, Giroux est sans doute l’un des rares joueurs à avoir pu échanger avec la légende durant son bref passage chez les Nordiques.
« Il m’aimait beaucoup. Après le premier match à Cleveland, je m’assois dans l’avion et qui vient à côté de moi ? Maurice Richard ! Je fondais sur place. Il m’a dit avant de s’en aller : “Je te vois travailler et j’aime ce que tu fais.” »
« Je me suis dit que j’allais avoir pas mal de temps de glace pendant la saison… mais il est parti après le match suivant », regrette Giroux
« Ça lui faisait mal »
Malheureusement pour Giroux, en effet, mais aussi pour la jeune organisation, qui venait de perdre sa première grande tête d’affiche.
« Les Nordiques étaient ébranlés quand Maurice Richard a quitté après deux matchs. Ils comptaient sur lui pour attirer les foules. Mais dans son for intérieur, [Richard] n’était pas prêt à diriger une équipe », explique Jacques Moreau, descripteur des rencontres du club à l’époque.
« Il était spectaculaire sur la glace, et de voir des gens qui ne travaillaient pas aussi fort que lui, qui ne n’avaient pas la même fougue ni le même regard tranchant, ça lui faisait mal, croit-il. Il a été très honnête de reconnaître après deux matchs qu’il n’aurait pas résisté à toute la pression qui l’attendait. »
« Ça n’a pas été négatif parce que c’était un gros nom, et c’était déjà un exploit de l’amener derrière le banc », ajoute Claude Bédard.
– Avec la collaboration de Stéphane Cadorette