Pour fabriquer l’ugali, ce plat traditionnel qui fait partie de l’alimentation de base en Afrique de l’Est, tout Kényan a aujourd’hui besoin de deux ingrédients : de la farine de maïs et son téléphone portable. Car c’est avec ce dernier qu’il pourra payer ses courses au marché, régler sa facture de gaz pour faire fonctionner sa cuisinière, le tout grâce à l’argent que son frère parti travailler en ville lui aura envoyé, là encore sur son mobile. Au Kenya, huit adultes sur dix disposent d’un compte de monnaie électronique – mobile money, en anglais – qui constitue souvent leur seul point de contact avec la finance formelle. Bien qu’en avance, le Kenya est loin d’être une exception dans le monde en développement : ces dix dernières années, selon la Banque mondiale, plus de 1 milliard de personnes ont pu accéder pour la première fois à des services bancaires à travers le monde, principalement grâce au téléphone portable.
Mais, après une décennie de progrès, la finance dite « inclusive » se heurte à une réalité nouvelle, celle d’un monde en développement assailli par les crises. Crise énergétique bien sûr, face au renchérissement des énergies fossiles, très utilisées dans ces pays. Crise climatique aussi, avec une multiplication des catastrophes naturelles. Crise alimentaire, en particulier depuis que les principaux greniers à grains du monde sont soumis aux aléas de la guerre. Crise monétaire enfin, dans des pays fortement dépendants du dollar et donc fragilisés par son inexorable hausse ces derniers mois.
L’essor des services financiers de la dernière décennie peut-il permettre aux populations les plus pauvres – qui sont aussi celles qui souffrent le plus de ces crises – de trouver des solutions à leurs difficultés ? Au Kenya, où les files d’attente s’allongent pour acheter la farine de maïs, avoir un téléphone dans sa poche change-t-il vraiment la donne ? Au regard des enjeux actuels, le bilan de l’inclusion financière semble, dès lors, bien plus incertain.
Par plusieurs aspects, cette dernière apparaît comme source de résilience. « Le simple fait d’avoir un compte, bancaire ou sur mobile, apporte une réponse face aux chocs car il permet à la personne de recevoir des aides, qu’elles soient publiques – par des transferts sociaux – ou privées – grâce au soutien des proches », met en avant Sophie Sirtaine, directrice générale du Consultative Group to Assist the Poor (CGAP), un cercle de réflexion hébergé par la Banque mondiale consacré à l’inclusion financière. Ces filets de sécurité fonctionnent mieux lorsqu’ils n’ont pas besoin de transiter sous forme d’espèces. « Pendant les crises, la mobile money, comme Orange Money [le service de transfert d’argent et de paiement mobile du groupe Orange], permet à l’argent de continuer de circuler, aux salaires d’être versés, aux populations moins affectées d’aider les plus touchées », abonde Patrick Roussel, directeur des services financiers pour le Moyen-Orient et l’Afrique du groupe français.
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