A l’occasion d’une série de sommets régionaux entre le 12 et le 14 octobre ont défilé dans la capitale kazakhe, Astana, les dirigeants de plusieurs Etats : Qatar, Azerbaïdjan, Tadjikistan, Kirghizistan, Iran, Irak, Biélorussie, Pakistan… ainsi que le vice-président chinois, Wang Qishan, ou les présidents turc, Recep Tayyip Erdogan, et russe, Vladimir Poutine. Un activisme diplomatique à l’image du rôle que le Kazakhstan rêve, non sans démesure, de jouer sur la scène internationale : un pont entre l’Eurasie et le Moyen-Orient.
Mais en coulisses, une autre partie se déroule, tant géopolitique qu’économique : le séisme déclenché par la guerre en Ukraine rebat aussi les cartes en Asie centrale. Une mutation tectonique est à l’œuvre. Elle représente un risque de déstabilisation des pays en question mais aussi l’occasion, pour eux, d’une indépendance renforcée.
Jusqu’ici, la Russie assurait la sécurité militaire de la région, par le biais de l’Organisation du traité de sécurité collective, dont font partie la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan. Seulement voilà : affaibli par la guerre en Ukraine, Moscou n’est plus capable de jouer les gendarmes dans les ex-républiques soviétiques. D’où la résurgence de vieux conflits ces dernières semaines, notamment entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, comme entre le Tadjikistan et le Kirghizistan.
D’où l’espoir, aussi, d’une émancipation plus grande de la région à l’égard de Moscou. A Astana, le 14 octobre, le président tadjik, Emomali Rahmon, a déclaré que « la Russie ne doit pas ignorer les intérêts des petits pays d’Asie centrale, comme elle l’a fait à l’époque soviétique », tandis que son homologue kazakh, Kassym-Jomart Tokaïev, n’est même pas venu accueillir Vladimir Poutine personnellement à l’aéroport – inimaginable il y a un an encore !
Redessiner la carte des échanges
Ces velléités ne sont pas nouvelles au Kazakhstan, qui ne reconnaît pas les annexions de territoire en Ukraine et accueille les Russes fuyant la mobilisation. Le pays qui, comme l’Ukraine, a connu une terrible famine sous le joug soviétique, poursuit depuis des années une politique dite « multivectorielle » : cultiver de bonnes relations avec Moscou comme avec Pékin, Ankara, Washington et Bruxelles. Ce qui a toujours agacé la Russie. Depuis février, des proches zélés de Poutine menacent parfois de « dénazifier » le Kazakhstan, comme l’Ukraine.
Ce à quoi Pékin a dit stop. Pour sa première visite depuis le début de la pandémie de Covid-19, le président chinois, Xi Jinping, s’est rendu à Astana, le 14 septembre, où il a déclaré soutenir « l’indépendance nationale, la souveraineté et l’intégrité territoriale » du Kazakhstan. En clair : Pékin interviendra si Moscou met un pied dans le pays. Un scénario certes improbable. « Mais ces mots de Xi Jinjing marquent un tournant majeur », explique Annette Bohr, de l’institut de réflexion londonien Chatham House.
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