Le retour de l’or comme valeur refuge
C’est un réflexe archaïque, venu d’une époque qu’on croyait révolue. L’or fascine et aimante, comme au temps des conquistadors. La « relique barbare », comme aimait à la qualifier l’économiste britannique John Maynard Keynes (1883-1946) pour mieux la disqualifier, fait son grand retour. Et pas seulement auprès des investisseurs fortunés en quête de protection contre l’inflation et les risques géopolitiques. Les premières actrices de ce nouveau regain ne sont autres que les sages banques centrales.
Selon le World Gold Council, qui collecte les données mondiales, elles ont acheté 1 130 tonnes d’or en 2022, soit un bond de 152 % par rapport à l’année précédente. Jamais depuis 1950 on n’avait observé un tel engouement. Les plus gros détenteurs et acheteurs sont les États-Unis, la Chine et l’Europe. Mais le champion des achats, en 2022, est la banque centrale turque, qui a rempli ses coffres avec 148 tonnes supplémentaires. Le Moyen-Orient aussi a été très actif.
Pourquoi cet engouement ? Le placement n’est pas le plus rentable, les cours sont au plus haut et l’argent manque ailleurs, surtout dans des pays pauvres comme l’Egypte, qui a acquis 47 tonnes en 2022. Pour le comprendre, les analystes de HSBC sondent chaque année plus de 80 banques centrales. Selon le Financial Times, qui a publié leurs résultats le 23 avril, la première raison n’est pas l’inflation, mais la guerre. Plus de 40 % des banquiers centraux interrogés citent les risques géopolitiques comme première raison, alors qu’ils n’étaient que 23 % en 2021, avant le conflit en Ukraine.
L’événement qui a refroidi plus d’un banquier central est le gel des avoirs extérieurs de la banque d’Etat russe par les États-Unis et ses alliés. Moscou, également producteur de métal jaune, garde précieusement ses réserves d’or à l’intérieur de ses frontières. Cela a pu convaincre certains pays d’accroître leur filet de sécurité financier en gonflant leur réserve d’or. Nombre des acheteurs de 2022 se trouvent chez les pays non-alignés.
Mais ce n’est pas la seule raison de l’actuelle fièvre de l’or. L’autre s’appelle le dollar. Dans un intéressant billet publié également par le Financial Times, le 23 avril, le financier indien Ruchir Sharma souligne la volonté de nombreuses nations, comme l’Inde ou le Brésil, de trouver des alternatives au dollar. Selon le FMI, celui-ci représente un peu moins de 60 % des réserves de change mondiales, détenues par les banques centrales, contre 20 % pour l’euro et 2,7 % pour le renminbi chinois.