La chargée du protocole me tance d’un air sévère. Clairement stressée, elle nous avait dicté la conduite précise à suivre : l’heure d’arrivée du prince Charles, à la minute près ; l’interdiction de dépasser le cordon qui nous place légèrement en retrait ; l’interdiction de poser des questions impromptues – mais qui aurait osé ? Rien de tout cela ne m’intéresse particulièrement et j’écoute d’un air visiblement trop distrait. L’objet du courroux de la chargée du protocole ? Je n’ai pas réussi à réprimer un sourire.
Nous sommes en décembre 2013, par un froid glacial, à Tempsford, dans la campagne, non loin de Cambridge. Je suis venu assister à l’ouverture d’un mémorial en hommage aux femmes espionnes de la seconde guerre mondiale, qui avaient fait partie du Special Operations Executive, une branche des services secrets créée par Winston Churchill. D’anciennes membres sont présentes ainsi que certains de leurs collègues masculins de l’époque. Des héroïnes et des héros qui ont sauté en parachute sur la France occupée ou se sont distingués par un sang-froid hors du commun. Ce sont ces témoignages, passionnants, que je suis venu recueillir.
Mais, et je l’avais à peine compris, celui qui est alors le prince Charles va officiellement inaugurer le monument. A peine de quoi faire une note de bas de page, pensais-je. De toute façon, la famille royale exerce une fascination modérée sur moi. La reine, éventuellement, mais Charles, franchement ? Sauf qu’à Tempsford on ne parle que de ça. Tout le village s’est mis sur son trente et un. L’école primaire du coin travaille visiblement sur le sujet depuis des semaines. Les enfants ont fait de beaux dessins pour accueillir le prince. Chacun s’est bien habillé, les femmes arborent des chapeaux comme seuls les Britanniques osent le faire.
Professionnel de la représentation
La chargée du protocole semble d’autant plus déconcertée par ma présence que je ne fais pas partie du royal rota, ce groupe de journalistes habilité à suivre les déplacements de la famille royale et qui comprend une chaîne de télévision, une agence de presse et un quotidien britannique. J’ai été invité par Mishal Husain, une journaliste de la BBC dont le père est à l’initiative de ce mémorial et qui se disait que le pan français de cette histoire pourrait m’intéresser.
Je suis pourtant ravi. Me voici aux premières loges pour découvrir le maniérisme de Charles. Sa chevalière au petit doigt qu’il fait tourner nerveusement. Sa main constamment glissée dans l’une des poches de son costume croisé ample, pour se donner une contenance. Mais comment peut-on vivre au centre de l’attention et continuer à faire preuve de cette apparente nervosité dans les rapports humains ? Manteau marron, chaussures bordeaux, cravate club, le futur roi est pourtant dans son élément. Les anciens combattants et l’armée sont instinctivement monarchistes. Le professionnel de la représentation qu’il est prend immédiatement le dessus. Il désigne du doigt un détail du monument, se penche sur un autre, donnant l’occasion parfaite aux photographes de prendre un cliché vaguement animé.
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