Si les faits sont avérés, c’est un vaste système pédocriminel qui vient d’être mis au jour en RDC. Les accusations sont en tous cas suffisamment sérieuses pour que la Fédération congolaise de football (Fecofa) annonce l’ouverture d’une enquête et décide, le 7 novembre, de suspendre à titre préventif six personnes concernées – des entraîneurs ou des membres du personnel encadrant pour la plupart.
Tout a commencé avec l’enquête menée par le journaliste français Romain Molina. En février dernier, il avait déjà révélé des faits similaires dans les colonnes du quotidien britannique The Guardian. À l’époque, c’est la Fédération gabonaise de football (Fegafoot) qui avait été visée et le scandale avait conduit à l’incarcération de Pierre-Alain Mounguengui, le président de la fédération, soupçonné d’avoir couvert des actes de pédophilie.
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Cette fois-ci, direction la RDC, donc. Notre confrère a bouclé une nouvelle enquête, publiée début novembre par Sport News Africa. Il a recueilli les propos de nombreuses victimes, mais aussi de joueurs, d’anciens joueurs ou d’entraîneurs, dont certains ont d’ailleurs tenté d’alerter les plus hautes instances du football congolais, sans succès. Ces témoignages esquissent les contours d’un vaste système qui a perduré pendant près d’une vingtaine d’années.
Lanceur d’alerte
Pourtant, selon Romain Molina, la Fecofa a été informée dès décembre 2020. C’était lors d’un tournoi disputé par la sélection des moins de 20 ans en Guinée équatoriale. À en croire le journaliste, Papy Kimoto, un ancien international congolais devenu l’entraîneur de l’équipe de Saint Éloi Lupopo, a interpellé Théo Binamungu, l’ex-secrétaire général de la Fecofa, après avoir appris que des jeunes joueurs étaient victimes d’abus sexuels. Mais sans que cela ne suscite de réaction à la fédération.
Il y a des gens qui ont accepté de parler et des victimes qui sont prêtes à aller plus loin et à porter l’affaire en justice
Le journaliste s’attarde notamment sur le cas de Bertin Kisamba Makuzueto, l’ancien entraîneur du RC Kinshasa, toujours influent dans le football congolais. Selon l’une des sources citées dans son enquête, Makuzueto avait pour habitude d’exercer un chantage sexuel sur les joueurs. « Il fallait coucher pour jouer », résume l’un d’entre eux, cité dans l’enquête. Le club de Saint Éloi Lupopo, où Bertin Kisamba Makuzueto était coach adjoint, aurait été prévenu, mais n’aurait pas pris la moindre décision.
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Bertin Kisamba Makuzueto fait partie des personnalités suspendues en début de semaine par la Fecofa, tout comme Cédric Dongo Epapa. Lui aussi est soupçonné de s’être rendu coupable d’actes de pédophilie, comme le révèlent des messages envoyés à un mineur de 16 ans sur Facebook. Deux entraîneurs de la ville de Lemba sont également épinglés : Jonathan Buka et Alain Kandudi – eux avaient déjà été incarcérés pour des faits d’agression sexuelle sur des mineurs mais avaient pu reprendre leurs activités dans le football une fois libérés.
On parle d’un système tentaculaire, et encore on ne sait pas tout !
Guy Roger Limolo, qui a dirigé des clubs de Ligue 1, est également cité, ainsi que Tifo Miezi. « Ce qui est ahurissant, c’est que ces individus, dont tout le monde dans le football congolais connaît les pratiques, puissent encore exercer, résume Romain Molina. J’ai enquêté pendant un an et demi et j’ai compris que beaucoup de gens savaient, mais que cela devait rester secret. Heureusement, il y a des gens qui ont accepté de parler et des victimes qui sont prêtes à aller plus loin et à porter l’affaire en justice. On parle d’un système tentaculaire, et encore on ne sait pas tout ! »
Sanctions
La Fecofa a confié l’enquête à une commission indépendante. « Nous avons décidé également d’ouvrir une ligne téléphonique, si des victimes souhaitent se faire connaître », a confirmé Belge Situtala, son secrétaire général. Devant l’ampleur du scandale, le ministre congolais des Sports, Serge Nkonde, a tenu le lundi 7 novembre une séance de travail avec la Fecofa et la Ligue nationale de football (Linafoot) sur la question de la pédophilie dans le milieu sportif. Trois jours plus tôt, il avait assuré que des sanctions sévères seraient prises en cas de culpabilité avérée.
On peut imaginer que le nombre de victimes est colossal
« Il y a une volonté étatique de bouger et de s’impliquer, c’est plutôt positif, réagit Romain Molina. On peut imaginer que le nombre de victimes, et pas seulement dans le football, est colossal. Pendant des années, les instances n’ont pas réagi. Et qu’on ne vienne pas dire que la Fecofa n’était pas au courant. »