Reconnue pour sa plume subversive et ironique, Hemley Boum s’est fait un nom dans la littérature francophone avec Le Clan des femmes (L’Harmattan, 2010), racontant le système polygame d’un village au début du XXe siècle. Profondément humaniste et féministe, l’auteure dépeint avec une justesse rare la condition humaine, ancrant ses récits dans des pans de l’histoire du Cameroun souvent occultés. Comme dans le très remarqué Les Maquisards (La Cheminante, 2015), son troisième opus qui avait rouvert le débat sur la guerre d’indépendance du Cameroun.
Dans son dernier roman, Les Jours viennent et passent (Gallimard, 2019), elle mêle une nouvelle fois intime et politique en disséquant l’embrigadement des jeunes de Boko Haram à travers la voix de trois générations de femmes. Si très tôt la littérature lui a permis de s’évader et de comprendre le monde, la musique a également nourri à la fois sa vie et son œuvre.
Jeune Afrique : Vous souvenez-vous du premier album que vous avez acheté ?
Hemley Boum : Je m’en souviens bien, c’était le Fast Car de Tracy Chapman. Cette femme et ses textes qui racontent des morceaux de vie, des destins de funambule, la guitare sèche, sa voix particulière… Elle a déboulé dans ma vie comme si nous avions rendez-vous. Tout le monde aimait « Talkin’ About the Revolution », celle qui était reprise par cœur par les fans à ses concerts. Mes préférées ont toujours été « Fast Car » et « For my Lover ».
Les femmes tiennent une place centrale dans votre œuvre. Un morceau en leur hommage ?
Celle qui me vient d’emblée est « Miss Celie’s Blues » dans le film The Color Purple de Steven Spielberg avec Danny Glover et Whoopi Goldberg.
Je pense aussi à « Amio » de Bébé Manga et « La Donna è mobile » de Verdi, une chanson sur le potentiel perturbateur des femmes. Enfin, il y a « Sarah » de Anne-Marie Nzié, une chanson qui s’est peu à peu imposée pour le roman que je suis en train d’écrire.
Finalement aucune des chansons que j’ai citées ne peut être considérée comme un hommage aux femmes. Hormis celle de Verdi : la seule qui est écrite par un homme et traduisant un regard masculin, les autres convoquent plutôt une sororité, souvent chaotique mais essentielle.
Un morceau qui vous accompagne quand vous voyagez…
J’écoute de la musique et je chante lors de mes trajets en voiture comme d’autres peuvent le faire sous la douche. Les playlists varient sans cesse mais certaines chansons reviennent comme « Sweet Dreams » d’Eurythmics ou « Vulindlela » de Brenda Fassie.
« Hemle » signifie espérance en bassa : un morceau ou un album qui symbolise le mieux cette disposition à croire en l’avenir ?
Tout l’album 1958 de Blick Bassy porte à mes yeux cette espérance. Le hemle des Camerounais signifie à la fois espérance et courage : ce qui dans ce peuple reste indomptable.
La lecture vous a très tôt permis de vous évader. Quel morceau vous procure le sentiment d’évasion ?
Quand j’ai besoin d’air, de légèreté, de me souvenir – comme dirait Shakespeare cité par Dinaw Mengestu dans Les Belles Choses que portent le ciel – je me tourne vers trois de mes absolus : « Dream Baby Dream » de Bruce Springsteen, « I Can See Clearly Now » de Jimmy Cliff et « Idiba », la version de Francis Bebey ou de Manu Dibango, peu importe, quand Douala me manque trop.
Un album ou un morceau ayant participé à votre éveil, qu’il soit politique, féministe, social… ?
« Lady » de Fela Kuti a été une sorte d’éveil féministe par opposition. Fela critique avec le talent et la verve qui est la sienne, les femmes africaines qui se prennent pour des ladies parce qu’elles vivent à l’occidentale. Je me souviens des fêtes chez mes parents où les messieurs reprenaient en chœur cette chanson. Bien sûr la musique est absolument somptueuse : Fela Kuti dans la grande période de l’afrobeat. Mais même jeune il me semblait déjà évident que les femmes étaient beaucoup plus complexes, plus libres, et que leurs univers, leurs aspirations étaient moins cloisonnées que Fela le prétendait.
Les chansons de Lapiro de Mbanga, et en particulier « Mimba We », ont été la bande son des mouvements politiques d’ampleur qui ont marqué le début des années 1990 au Cameroun. L’engagement politique de l’artiste et la langue utilisée, le pidgin english, qui est celle de la rue et des sans-grades, en ont fait un chant de combat. « Mimba We », en substance, sonne comme un avertissement à la classe dirigeante : « Pensez à nous quand vous vous gavez sur notre dos. »
Une chanson qui définit le mieux votre enfance ou vous ramène en enfance ?
« Qui est fou de qui ? » de Manu Dibango. J’ai un souvenir très clair de la première fois que j’ai écouté cette chanson. Après une journée d’école, j’étais dans la voiture avec mon père, nous rentrions à la maison et la chanson est passée à la radio. J’ai le souvenir de quelque chose de très joyeux et tendre. Je devais avoir une dizaine d’années.
« Pam Pam Bé » chantée par un groupe de jeunes Les Rrum-Tah dirigé par Nkembe Pesauk. Fin des années 1980 je crois. Au Cameroun cette chanson passait sur toutes les radios, tout le monde l’adorait.
Un morceau plaisir coupable ?
« Loi » de Koffi Olomidé. Ce n’est même pas un plaisir coupable. Dès que je l’entends, où que je sois, je danse. Et si mon corps est empêché, je danse dans ma tête.
Votre chanson culte…
La plus belle chanson du monde : « Malaïka », la version chantée en duo par Miriam Makeba et Harry Belafonte.