C’est une librairie parisienne facile à reconnaître parmi celles de la rue de Médicis, sa devanture est fracturée par une dizaine d’impacts. A cause de ces éclats, peu de livres sont exposés : Mon itinéraire (Editions Chora), par la responsable d’extrême droite et présidente du Conseil italien Giorgia Meloni, Londres (Gallimard), dernier inédit de Céline, un ouvrage de Renaud Camus, l’idéologue qui a popularisé la théorie du « grand remplacement », selon laquelle il existerait un plan pour remplacer les Occidentaux par une immigration de masse…
Ouverte en 2018, La Nouvelle Librairie, devenue également une maison d’édition un an plus tard, se revendique identitaire et patriote. Elle a été attaquée juste avant une séance de signatures d’Eric Zemmour en 2018, puis en 2019, à la veille de la venue de l’ex-président du Front national, Jean-Marie Le Pen. Son responsable, François Bousquet, aime les dédicaces spectaculaires et les sorties retentissantes. Il devait publier le 8 novembre Derniers écrits avant le massacre, dont l’auteur, Gabriel Matzneff, est visé par une enquête pour viols sur mineur.
« Publier Matzneff qui ne pouvait plus l’être, c’est une question d’honneur de l’édition. » François Bousquet, responsable de La Nouvelle Librairie
La polémique a démarré très vite dans la presse et sur les réseaux sociaux : le 22 octobre, le collectif féministe Les Grenades a collé des affiches sur la librairie pour dénoncer la sortie de l’ouvrage. Dans un communiqué diffusé lundi 24 au matin, les éditions indiquent avoir reculé : « Nous nous trouvons dans l’obligation de repousser sine die la parution des Derniers écrits avant le massacre », en raison de « menaces de mort » sur le personnel.
Dans un café du quartier, quelques jours plus tôt, François Bousquet, 54 ans, fines lunettes et barbiche en pointe, employait pourtant de grands mots : « Publier Matzneff qui ne pouvait plus l’être, c’est une question d’honneur de l’édition. C’est un grand écrivain de 86 ans, traîné dans la boue. » Ancien éditeur, dans les années 1990, à L’Age d’Homme, qui a publié un grand nombre de dissidents de l’Est, Bousquet y a rencontré Matzneff et partage avec lui la même passion pour la Russie et la littérature slave.
Il y a plusieurs mois, l’écrivain lui a proposé, par l’intermédiaire d’amis communs, l’idée du livre, qui rassemble ses chroniques parues dans Le Point de 2015 à 2019. Sur une dizaine de pages, Gabriel Matzneff revenait aussi sur Le Consentement, livre dans lequel Vanessa Springora raconte la relation sous emprise qu’elle a eu avec lui, lorsqu’elle avait à peine 14 ans et lui 50. « Il dit qu’il n’a pas lu le livre, il ne cherche pas à comprendre, et je dis cela sans vouloir accabler Matzneff », observe l’éditeur. Nulle part n’est signalé le fait que l’écrivain fait l’objet d’une enquête judiciaire. « Ce n’est pas mon genre de beauté, la pédophilie, déclare Bousquet. Mais glisser un avertissement pour condamner la pédocriminalité, c’est une façon de prendre de la distance avec une publication, une forme d’hypocrisie. »
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