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La Caisse perd des millions dans un terrain pour le REM

La Caisse perd des millions dans un terrain pour le REM


La Caisse de dépôt a dépensé 17,1 M$ pour un terrain dont elle n’avait en grande partie pas besoin, situé en bordure du tracé du Réseau express métropolitain (REM), avant de le revendre 3 ans plus tard pour le quart du prix.

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Prise avec la nécessité de livrer le REM en toute hâte et l’obligation de procéder à des expropriations, la Caisse semble avoir fait une bien mauvaise affaire lors d’une transaction le long de la branche du REM qui se rend vers le nord-ouest de la métropole.

Notre Bureau d’enquête a constaté qu’en janvier 2019, la Caisse a acquis pour 17,1 M$ un terrain situé dans l’arrondissement Saint-Laurent.

En mars 2022, elle s’est départie de plus de 75 % de cette propriété, incluant un entrepôt de 51 000 pi2, pour seulement 4,5 M$. (voir carte ci-bas)

On parle donc de 12,6 M$ de moins, et ce sans compter que la valeur des terrains a augmenté de près de 30 % dans ce secteur pendant les trois ans d’intervalle.

«À ce prix là, je l’aurais repris tout de suite et j’y aurais fait mon bureau», affirme le président de Dex Clothing, Jacky Alloul, qui a été exproprié de cet entrepôt dans lequel il dit avoir mis « beaucoup d’argent ». 

La transaction de mars 2022 paraît aujourd’hui d’autant plus mal avisée que l’entrepôt voisin, beaucoup plus petit, est actuellement en vente pour 12,7 M$.

Forcée d’exproprier davantage

Contactée par notre Bureau d’enquête, CDPQ-Infra, la filiale de la Caisse qui gère le REM, a reconnu qu’elle n’avait pas besoin de l’ensemble du terrain lorsqu’elle a fait la transaction de 17,1 M$ en 2019. 

Elle désirait une petite bande de terrain le long de la voie ferrée, mais a dû acheter l’immeuble au complet, car le propriétaire visé par l’avis d’expropriation jugeait que se départir d’un petit bout de son immeuble nuirait trop à ses affaires. 

«J’aurais voulu rester. Mais ils ont pris un 5000 pi2 à l’arrière, donc moi je ne pouvais plus opérer avec la taille de compagnie que j’ai», explique Jacky Alloul. 

La Caisse n’a pas contesté cette demande et a sorti son carnet de chèques, s’évitant ainsi des délais judiciaires. 

«Le règlement de ce dossier a permis de libérer le terrain dans les délais nécessaires pour réaliser les travaux du REM, explique la porte-parole du REM, Emmanuelle Rouillard-Moreau. Le montant payé est basé sur une valeur immobilière de 2018 et comprend l’ensemble des dommages encadrés par la Loi sur l’expropriation.» 

12,6 M$ engloutis en quatre étapes  

1. La Caisse veut acquérir une petite portion de l’immeuble de 3925234 Canada inc. (zone en rouge). 


Photo Dominique Cambron-Goulet

2. Puisque l’entreprise dit ne pas pouvoir opérer sans la totalité de son immeuble, la Caisse exproprie le terrain au complet pour 17,1 M$, incluant le vaste entrepôt sur cette photo (zones jaune et rouge). 


Photo Dominique Cambron-Goulet

3. La Caisse veut aussi obtenir une petite portion de terrain qui appartient à Max Latifi, qui sert à entreposer des clôtures (zone en vert). 


Photo Dominique Cambron-Goulet

4. Max Latifi conteste le montant offert. La Caisse lui vend la quasi-totalité du terrain qu’elle a acheté à l’étape 2 pour 4,5 M$ (zone en jaune), en échange de l’abandon de la contestation de Latifi.  

  • Juste à côté du bâtiment vendu à 4,5 M$ par la Caisse, un autre entrepôt, plus petit, est actuellement en vente pour 12,7 M$.


Photo Dominique Cambron-Goulet

Le REM en bref


Photo d’archives, Agence QMI

  • Le train électrique construit par la Caisse de dépôt et placement du Québec doit relier à terme Brossard, le centre-ville, l’aéroport, Sainte-Anne-de-Bellevue et Deux-Montagnes.
  • Le projet lancé en 2016 et qui compte 26 stations devait accueillir ses premiers passagers en 2021, mais après de multiples retards, cela ne se fera pas avant 2023.
  • Les dernières estimations budgétaires de la Caisse font état d’un coût de plus de 6,9 G$ pour la construction du REM. 

Une incroyable aubaine

L’heureux gagnant de la transaction dans laquelle la Caisse a perdu gros n’est nul autre que l’oncle du pilote de Formule 1 canadien Nicolas Latifi.

C’est l’entreprise Placements Mecyva, appartenant à Max Latifi, qui a pu acheter l’immeuble pour 4,5 M$. 

M. Latifi a fait sa fortune dans le secteur alimentaire, dirigeant notamment les entreprises Aliments Triomphe (Nostrano, Tour Eiffel, Belle Bretagne…) et Aliments Fontaine Santé. 

Propriétaire du terrain voisin, Mecyva était en position de force face à la Caisse, qui désirait l’exproprier à partir de 2017.

Il réclamait 3,8 M$

Alors que la Caisse offrait 490 576 $ pour une part de son terrain servant à de l’entreposage, Mecyva réclamait plutôt près de 3,8 M$ en dommages.

En 2018, devant le Tribunal administratif du Québec, M. Latifi a avancé que l’expropriation nuisait au projet d’agrandissement d’une autre de ses entreprises, Fontaine Santé, située juste à côté. 

La Caisse a réglé hors cour plutôt que de passer devant un juge et a ainsi vendu pour 4,5 M$ l’entrepôt qu’elle venait d’exproprier pour 17,1 M$, contre un abandon de sa réclamation par Mecyva.

Cette dernière a également reçu un peu plus de 400 000 $ en dédommagement.

«Nous avons convenu de cette entente étant donné que l’expropriation était tout autant imposée qu’incontournable même si nous nous y opposions et qu’elle nous a causé d’importants inconvénients», avance le porte-parole de Mecyva, Jean-Maurice Duddin.

Prix de 2019

Si la vente a été réalisée au début 2022, le prix a été fixé il y a trois ans, se défend la Caisse, rapport d’évaluation à l’appui.

«Le montant de la vente était basé sur la valeur marchande de l’immeuble en date de 2019. La valeur des terrains entre 2019 et aujourd’hui a considérablement augmenté», explique la porte-parole du REM, Emmanuelle Rouillard-Moreau. 

Trois ans après l’expropriation, Fontaine Santé n’a pas agrandi son usine, l’immeuble étant toujours occupé par une compagnie de clôtures, autrefois propriété de Max Latifi.

«L’avis d’expropriation rendait impossible toute expansion, explique M. Duddin. Fontaine Santé a dû acquérir un autre bâtiment sur l’île de Montréal pour y loger une partie de ses opérations.»

♦ En 2021, M. Latifi a vendu la majorité des actions de Fontaine Santé à un fonds d’investissement privé américain.

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