Tour de vis sur la liberté de l’information en Turquie à quelques mois des élections générales de juin 2023. Le Parlement turc a en effet adopté, jeudi 13 octobre, une loi sur la désinformation, prévoyant jusqu’à trois ans de prison pour la divulgation « d’informations fausses ou trompeuses ».
Outre les journaux, radios, télévisions, la loi vise les réseaux sociaux et les sites Internet auxquels il sera demandé de dénoncer et de livrer les informations personnelles de leurs usagers accusés de propagation de fausses nouvelles.
Débattus depuis début octobre, les 40 articles du texte, officiellement baptisé « loi sur la presse », ont fait l’objet de nombreux amendements déposés, en vain, par l’opposition qui dénonce pour sa part une « loi de censure ». Avec une majorité de 334 sièges sur 581 pour l’AK, le parti présidentiel, et ses alliés, le texte avait peu de chances d’être arrêté.
Une « loi de censure » dénoncée par l’opposition
L’article 29, en particulier, prévoit des peines de prison d’un à trois ans pour « propagation d’informations fausses ou trompeuses contraires à la sécurité intérieure et extérieure du pays et susceptibles de porter atteinte à la santé publique, de troubler l’ordre public, de répandre la peur ou la panique au sein de la population ».
La loi stipule encore que la présidence se chargera de préparer un « “bulletin de la désinformation” chaque lundi (…) afin d’informer le public sur la désinformation et les fausses nouvelles ».
En décembre 2021 le chef de l’Etat avait estimé que les réseaux sociaux, d’abord perçus comme un symbole de liberté, étaient « devenus une des principales menaces à la démocratie ».
Aux dernières heures des débats mercredi, et dans un mouvement d’humeur, un député du parti CHP (social-démocrate) d’opposition, Burak Erbay, s’adressant à la jeunesse turque qui « votera pour la première fois en juin » – et qui subit de plein fouet la grave crise économique –, a brandi son smartphone et l’a écrasé d’un coup de marteau.
« Vous n’avez qu’une seule liberté, c’est ce téléphone dans votre poche. Là, vous avez Instagram, YouTube, Facebook. Vous échangez. Aujourd’hui (…) si la loi est adoptée par ce Parlement, vous pourrez les casser comme ça, mes jeunes frères. Parce que vous ne pourrez plus vous en servir », a-t-il déclaré. Meral Danis Bektas, élue HDP (opposition, pro-kurde) a également estimé que « cette loi est une déclaration de guerre à la vérité ».
Le projet de loi a suscité de nombreuses inquiétudes dans les milieux journalistiques et les organisations de défense des droits humains qui s’étaient mobilisés au début du mois, masqués de noir devant le Parlement.
Il avait été déposé en mai par les députés AKP, Parti de la justice et du développement du président Recep Tayyip Erdogan, qui briguera un nouveau mandat en juin 2023. Une dizaine d’associations et de syndicats de journalistes, dont Reporters sans frontières (RSF) l’avaient dès lors dénoncé comme une tentative de censure de la part du gouvernement.
Avant que la loi passe, le Conseil de l’Europe avait également dénoncé une « entrave » à la liberté d’expression garantie par la Convention européenne des droits de l’homme. Selon le classement de RSF, la Turquie figure en 2022 au 149e rang sur 180 pays pour la liberté d’informer.