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en Tunisie, un prototype d’« école autonome » pour relancer les élèves et un système à bout de souffle

en Tunisie, un prototype d’« école autonome » pour relancer les élèves et un système à bout de souffle


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Moment de détente pour les 565 élèves du collège-internat de Makthar, le 29 septembre 2022, avant de retourner en cours.

Garçons et filles sont en rang par deux dans la cour : le collège-internat de Makthar, dans le nord de la Tunisie, ressemble à première vue aux autres écoles publiques. Sa particularité : il produit de l’électricité et de la nourriture, finançant ainsi des activités originales permettant aux élèves de « s’ouvrir au monde ».

L’organisation non gouvernementale (ONG) Wallah We Can, qui a noué un partenariat avec l’établissement de la ville de 70 000 habitants, ambitionne de reproduire ce « prototype d’école autonome » partout dans le pays, afin de relancer un système éducatif à bout de souffle, dans un pays autrefois très en pointe dans ce domaine. Le collège, à trois heures de trajet de Tunis, accueille 565 élèves, dont 80 % d’internes issus de familles vivant loin de l’école, dans le nord-ouest pauvre et rural.

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« Le système éducatif se porte très mal depuis la révolution [qui a fait chuter le dictateur Ben Ali en 2011], déplore Lotfi Hamadi, fondateur de l’ONG. Pas à cause d’elle, mais parce que chaque gouvernement a cédé aux pressions du syndicat : on se retrouve avec un budget ministériel consacré à plus de 95 % au paiement des salaires. »

« Pimpante “green school” »

Pourtant, rappelle à l’AFP, l’ex-ministre et professeur de politiques publiques Hedi Larbi, « la Tunisie sous Habib Bourguiba [premier président de la République de 1957-1987] se distinguait par une politique éducative volontariste : 15 % du budget allait aux équipements et à la formation des enseignants ». Résultat : le taux de scolarisation dépassait les 95 % dans les années 1990.

A la cantine du collège de Makthar, qui propose aussi un internat aux enfants venus de régions rurales et pauvres de la Tunisie.

Aujourd’hui, 100 000 jeunes décrochent de l’école chaque année, les cours privés explosent, le niveau baisse. Face à « un Etat démissionnaire », M. Hamadi veut affronter le problème différemment. Ce consultant de 46 ans, fils d’immigrés illettrés de Kesra, près de Makthar, revenu de France « contribuer » à la nouvelle Tunisie, entend « prendre ce qui est efficace dans l’entrepreneuriat et transformer les écoles en entreprises sociales ».

Après dix ans d’efforts, le collège décati est une pimpante « green school », dotée – grâce à des mécènes – de 140 panneaux solaires et 50 chauffe-eau solaires produisant quatre fois l’énergie consommée. Avec ces excédents, l’école finance l’entretien du site et fournit du courant à trois autres établissements.

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L’association loue huit hectares cultivés par une coopérative agricole, nommée Kidchen, qui emploie six parents d’élèves, anciens chômeurs, et un agronome. Depuis cet été, tomates, piments doux, oignons, pommes de terre ou petits pois alimentent la cantine du collège (10 % de la production), et les surplus sont revendus.

Visage tanné, Chayeb Chayeb, 44 ans, responsable de l’équipe et père de trois enfants, dont deux sont au collège, a vu son quotidien chamboulé. « Avant j’étais saisonnier avec des contrats de cinq ou six mois, chaque fois dans un endroit différent. Maintenant je travaille près de mon domicile », se réjouit-il.

Plusieurs parents d’élèves, autrefois sans emploi, travaillent à la ferme du collège de Makthar et produisent une partie des légumes et des fruits consommés par les 656 élèves de l’établissement.

A terme, les parents agriculteurs – actionnaires chacun à hauteur de 2 % de Kidchen – ont vocation à racheter les parts de Wallah We Can et devenir propriétaires de la ferme : « Cela nous incite à travailler plus et produire plus pour gagner plus. C’est un projet pour nous-mêmes. »

« La curiosité de s’ouvrir au monde »

Avec les revenus énergétiques et agricoles, des clubs d’activités extrascolaires ont été lancés : robotique, entrepreneuriat, langues et civilisations étrangères, médias, chant, « e-learning »« Pas pour combler les lacunes du système éducatif, il y en a trop, mais pour leur apprendre à apprendre, leur donner la curiosité de s’ouvrir au monde », explique M. Hamadi. Dans un pays où une majorité de jeunes projettent d’émigrer selon de nombreuses études, Wallah We Can voudrait que les enfants « se réconcilient avec leur pays et découvrent les opportunités qu’il peut leur offrir ».

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Habituée du club entrepreneuriat, Chahed Salhi, 14 ans, rêve de monter une entreprise touristique sur le site antique de Makthar : « Cette expérience m’a apporté énormément de confiance en moi », confie cette élève qui a surmonté sa timidité en apprenant « à parler en public » au club théâtre.

Chaïma Rhouma, étudiante en droit de 21 ans, passée par l’internat, apporte un témoignage aussi enthousiaste. Des douches chaudes quotidiennes, un cinéma, un terrain omnisports, un grand jardin : « Avec Wallah We Can, tout a été métamorphosé ici, également pour les “vibes”, les ondes positives. » Grâce aux clubs littérature et cinéma, « je suis plus curieuse, je cherche toujours des choses nouvelles : ici tu peux étudier en t’amusant », ajoute cette aspirante diplomate avide de « connaître d’autres cultures ».

Fin septembre 2022, l’entrepreneur social Lotfi Hamadi, créateur de l’ONG Wallah We Can, visite la ferme de l’établissement, Kidchen, avec Chayeb Chayeb, son chef d’équipe.

Avec son environnement privilégié, le collège est très populaire dans la région, assure son directeur, Taher Meterfi, qui « a plus de 80 demandes en attente ». Prochaine étape pour Wallah We Can : une « ferme agro-énergétique » de 40 hectares pour fournir aliments et électricité aux 23 écoles de Makthar, soit 3 500 élèves.

Sommaire de la série « La Tunisie de Kaïs Saïed »

Le Monde avec AFP

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