C’est un homme de 33 ans à l’allure décontractée : visage juvénile, barbe de trois jours et lunettes rondes. Ces dernières années, il est souvent apparu dans la presse comme l’un des jeunes dirigeants des entreprises familiales allemandes. Max Viessmann, seul patron du groupe du même nom fondé en 1917, leader allemand de la pompe à chaleur, était connu pour promouvoir la continuité au sein du Mittelstand, réputé pour être la colonne vertébrale de l’industrie de taille moyenne allemande et pour son excellence dans l’exportation de produits de qualité.
Le 25 avril, Max Viessmann a fait un choix qui a secoué toute l’Allemagne. En annonçant la vente de la plus grande partie de son entreprise, y compris les pompes à chaleur, à son concurrent américain Carrier Global, pour 12 milliards d’euros, il a suscité une vague d’angoisse face à la désindustrialisation du pays au profit des États-Unis et de la Chine, ou de la zone Asie-Pacifique. Ce thème, qui dominait les débats d’experts depuis un an, a envahi les talk-shows et les grands débats politiques. Le parti chrétien-démocrate accuse le ministère de l’économie, dirigé par les écologistes, de mener une politique d’interdiction de certaines technologies (nucléaire, chaudières à gaz ou au fioul), au détriment de l’industrie et de l’emploi.
Peu importe les arguments de Max Viessmann, la vente est mal perçue outre-Rhin. Pourtant, il s’efforce de rassurer en expliquant que les emplois et les sites de production allemands sont garantis pour plusieurs années. Viessmann peut ainsi devenir un des premiers actionnaires de Carrier Global, cinq fois plus gros que son entreprise. C’est une occasion unique pour son groupe d’atteindre une taille critique – en capacité de production et en distribution – pour répondre à la demande mondiale croissante de pompes à chaleur, face à la concurrence asiatique. Mais à tort ou à raison, l’impression demeure outre-Rhin que le pays est désormais obligé de vendre ses fleurons industriels ou d’investir ailleurs, sous peine de décrocher.
Une tendance à la démondialisation
La panique actuelle est alimentée par plusieurs évolutions, indéniablement négatives pour le modèle traditionnel allemand. L’Allemagne a perdu une source d’énergie bon marché avec la fin du gaz russe, qui permettait à son industrie la plus consommatrice d’être compétitive mondialement. Les prix de l’électricité, déjà élevés avant la crise, resteront durablement hauts. Dans ce contexte, le programme américain de subventions massives aux technologies décarbonées (Inflation Reduction Act) est arrivé à point nommé pour faire basculer quelques industriels emblématiques.
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