Ils se croient les maîtres du monde, mais personne ne les a élus. Ce ne sont pas des dictateurs et ils nous prient de les nommer « bienfaiteurs ». De Carnegie aux Rockefeller, le poids des grands philanthropes américains n’est pas nouveau. Mais leurs successeurs du XXIe siècle ont des ambitions mondiales, voire interplanétaires, et ne s’embarrassent pas de morale. Surtout, ils déploient leur pouvoir dans un monde livré à la puissance des réseaux sociaux, où les Etats démocratiques et les organisations internationales sont affaiblis.
Le plus problématique est aussi le plus riche de la planète : Elon Musk ne se contente pas d’être le patron de Tesla, dont la valorisation dépasse celle de tous les autres constructeurs automobiles réunis, et de diriger SpaceX, partenaire incontournable du Pentagone et de la NASA. L’homme à la fortune estimée à 220 milliards de dollars (soit autant en euros) selon le magazine Forbes se pique de géopolitique, et il en a les moyens. Connectés plus de 2 200 satellites de son réseau Starlink, les 25 000 terminaux qu’il a livrés gratuitement à l’Ukraine assurent les communications civiles et militaires du pays aux infrastructures ravagées. Ils permettent tant de guider les missiles vers les cibles russes que de maintenir en fonctionnement hôpitaux et banques. Mais la versatilité du bienfaiteur de l’Ukraine, son possible double jeu font frémir.
A la mi-octobre, le milliardaire de 51 ans a agité publiquement l’idée selon laquelle il pourrait cesser de financer Starlink en Ukraine, avant de se raviser et de s’en glorifier. « Heureux d’aider l’Ukraine », a-t-il lancé sur Twitter, un réseau dont il a finalement fait l’emplette, jeudi 27 octobre, pour 44 milliards de dollars. Auparavant, il avait déclenché l’ire de Volodymyr Zelensky – et sans doute ravi Vladimir Poutine – en défendant son propre « plan de paix » incluant l’abandon de la Crimée à la Russie par les Ukrainiens.
Les foucades géopolitiques et les conflits d’intérêts d’Elon Musk – il a proposé de rattacher Taïwan à la Chine, pays où Tesla possède une usine – inquiètent jusqu’aux autorités américaines. De même que la présence d’investisseurs étrangers dans son offre de rachat de Twitter. Les projets du milliardaire pour le réseau social à l’oiseau bleu où il a 110 millions d’abonnés, et dont il veut affaiblir les procédures de modération pour mieux « libérer » l’expression, embarassent. Entre les conceptions libertariennes – libertés individuelles maximales, Etat minimum – d’Elon Musk et les responsabilités internationales que lui donne de facto sa réussite, lui permettant de court-circuiter la diplomatie américaine, le clash est inévitable.
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