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Du café au dentifrice, la « sachétisation » de l’économie nigériane

Du café au dentifrice, la « sachétisation » de l’économie nigériane


Au marché d’Ibafo, au nord de Lagos, le 28 juillet 2022.

Cinq grammes de dentifrice ou dix centilitres d’huile de cuisson : étranglés par le coût de la vie, les Nigérians achètent désormais leurs produits de première nécessité en petite quantité, emballés dans de minuscules sachets plastiques, à consommer dans la journée. Les grandes marques à l’origine de cette « sachétisation de l’économie » y voient une « innovation », permettant un accès à la consommation pour tous les Nigérians, dont la majorité survit au jour le jour. Pour d’autres, c’est une aberration économique et écologique.

Dans les rues de Lagos, la vibrante capitale économique du pays le plus peuplé d’Afrique, les sachets font désormais partie du décor : ils colorient ses rues, bariolant les milliers de boutiques de bois et de tôle qu’on retrouve partout. Assis sur un tabouret, Ibrahim Atahire tient depuis trente ans l’une de ces petites épiceries dans une voie animée d’Obalende, un quartier populaire. L’homme de 55 ans à la barbe grisonnante l’assure : « Chez moi, tu peux tout acheter en petite quantité. »

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Et c’est vrai. Sur son stand, tout est vendu en sachet : du café ou du lait en poudre pour une tasse seulement, quelques grammes de céréales pour un bol, de la pâte à dentifrice pour un brossage de dents, des rasoirs emballés et vendus individuellement, de la lessive en poudre pour un unique lavage. Même la crème anti-moustique pour soulager les piqûres est vendue dans un emballage plastique plus petit qu’une paume de main. Pour le déjeuner, l’huile de cuisson s’achète aussi en sachet, tout comme les épices, la sauce tomate. Un sachet pour chaque ingrédient et pour chaque repas.

« Depuis des années, je propose des sachets à la vente, mais désormais les gens n’ont plus les moyens d’acheter en quantité normale, donc je ne vends plus que ça », explique le vendeur.

Une inflation de 15,5 %

Dans une rue parallèle, Sanni Aïcha, porte-monnaie à la main, fait le tour des échoppes à la recherche du sachet d’huile de cuisson le moins cher. Cette mère de deux enfants, vendeuse de cacahuètes dont le mari est un policier à la retraite, confie « ne plus s’en sortir ». « Avant je prenais de l’huile en bidon, mais depuis deux ans tout est si cher qu’on n’a plus l’argent pour acheter pour le mois », déplore-t-elle.

La première économie du continent africain a été frappée de plein fouet par la pandémie de Covid-19, qui a fait grimper les prix de 17 % en 2021, particulièrement ceux des produits alimentaires, faisant tomber dans la pauvreté 6 millions de Nigérians supplémentaires. Elle subit désormais les retombées de la guerre en Ukraine et d’une politique économique très critiquée. En 2022, la Banque mondiale prévoit une inflation de 15,5 % et 1 million de pauvres en plus. En tout, le nombre de personnes vivant dans la grande pauvreté devrait atteindre 95,1 millions, soit près d’un Nigérian sur deux, selon ses projections.

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« Une importante part de la classe moyenne est en train de tomber dans la pauvreté et ne peut plus se permettre d’acheter en grande quantité. Alors les grandes marques se sont mises à proposer des sachets pour garder leurs consommateurs », explique Tunde Leye, économiste à SBM Intelligence.

Les sachets ont réellement fait leur apparition sur le marché nigérian au début des années 2010, les marques proposant aux consommateurs des produits en quantité réduite pour les pousser à essayer de nouveaux produits, explique un ancien responsable marketing d’un géant agroalimentaire européen au Nigeria. Mais en 2016, au moment où le pays tombe une première fois en récession après la chute des cours du pétrole, « les consommateurs ont commencé à se ruer sur ce format, alors nous avons commencé à les généraliser et d’autres marques ont suivi », explique-t-il.

Pollution et inondations

Depuis, la situation économique ne s’est guère améliorée, alors la demande pour les petits emballages plastiques a continué d’exploser, affirme sous le couvert de l’anonymat le directeur d’une usine de plastique. « L’inflation est telle que même les serviettes hygiéniques sont désormais vendues à l’unité », dit l’entrepreneur. Ses clients, eux, ne cessent de lui demander de produire des emballages toujours plus petits, pour contenir à peine quelques grammes de produit.

Le soleil est à son zénith à Obalende et Sanni Aïcha est toujours en train d’arpenter les rues à la recherche du prix le plus compétitif. « Acheter en sachet presque chaque jour me revient plus cher à la fin du mois », déplore-t-elle. Pour l’huile de cuisson, c’est en moyenne 20 % plus cher, dit-elle. « Sans argent de côté, je peux difficilement faire autrement », poursuit la vendeuse de cacahuètes, qui gagne son argent au jour le jour – quelques milliers de nairas, à peine de quoi nourrir sa famille. C’est ainsi que les plus pauvres se retrouvent in fine à « dépenser plus » que les autres, avance l’économiste Tunde Leye.

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Cette « sachétisation de l’économie » pose également un important problème environnemental en générant « toujours plus de plastique », dénonce quant à elle la militante écologiste Oluwaseyi Moejoh. Car les sachets ne colorient pas uniquement les échoppes de Lagos, on les retrouve également au sol : éparpillés sur les trottoirs défoncés de la ville ou sous forme de magmas de plastique qui bouchent ses égouts à ciel ouvert et génèrent d’importantes inondations à chaque saison des pluies. Les plus pauvres, qui logent dans des habitats précaires, sont les premiers touchés. Alors Oluwaseyi Moejoh plaide pour un plus grand « contrôle de l’Etat » et l’obligation de rendre les grandes marques « comptables » de leur pollution plastique. Car à la fin, « ce sont toujours les pauvres qui finissent par payer ».

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Le Monde avec AFP

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