Charles Blé Goudé, pilier du régime de l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo, rentre samedi en Côte d’Ivoire après neuf années passées dans l’antre de la justice internationale, à La Haye. Son retour, qu’il souhaite « sobre » et « sans triomphalisme » ne signifie pas que le leader politique souhaite rester à l’écart de la politique. Bien au contraire.
Plus de « Général de la rue » ou de « Blé la machette » comme on le surnommait autrefois, c’est un faiseur de paix qui revient en Côte d’Ivoire après onze années d’absence. Charles Blé Goudé, pilier du régime de l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo, assure vouloir retrouver sa terre natale, samedi 26 novembre, « dans la discipline », la « sobriété », animé par un esprit de « rassemblement » et de réconciliation du pays.
Cet ancien responsable politique qui a désormais 50 ans n’a pas toujours été connu pour ses penchants pacifistes. Aux côtés de son mentor, Laurent Gbagbo, il a été définitivement acquitté en mars 2021 par la Cour pénale internationale de La Haye après avoir été soupçonné de crimes pendant la crise post-électorale entre 2010 et 2011. À l’époque, la victoire à la présidentielle d’Alassane Ouattara, contestée par Laurent Gbagbo, avait débouché sur des violences qui avaient fait 3 000 morts et conduit à l’arrestation du président sortant en avril 2011. Charles Blé Goudé, lui, avait été arrêté en 2013 au Ghana où il s’était exilé, puis transféré à la Haye en 2014 après plusieurs mois en résidence surveillée à Abidjan.
Pas de pavillon ministériel ou présidentiel pour l’accueillir à la sortie de son vol commercial, à peine une petite poignée de personnalités pour le saluer, dont l’ancienne Première dame Simone Gbagbo, dans le hall ordinaire de l’aéroport aux côtés des autres passagers. Pas de discours, ni de meeting prévu non plus. Une simple fête pour célébrer les retrouvailles à Yopougon, une commune populaire d’Abidjan où sa carrière politique a commencé.
Des coups d’éclat de Fesci aux Jeunes patriotes
Né le 1er janvier 1972 à Niagbrahio, dans l’ouest du pays, Charles Blé Goudé a, comme la majorité des responsables politiques de la nouvelle génération ivoirienne, fait ses classes au sein de la fameuse Fesci, la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire, à laquelle il adhère en 1990. Un engagement qui lui vaut d’être emprisonné à huit reprises entre 1994 et 1999, la Fesci luttant, à l’époque, aux côtés du Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo pour la démocratisation d’un pays verrouillé par les régimes de Félix Houphouët-Boigny et d’Henri Konan Bédié. De simple militant, il devient secrétaire général de l’organisation en 1998, succédant à Guillaume Soro, appelé à devenir le leader des Forces nouvelles.
À l’issue de la guerre ouverte, dite « des machettes », qui éclate en 2000 au sein du syndicat, l’amitié qui lie Guillaume Soro à Charles Blé Goudé vole en éclats. Les deux camarades du département d’anglais deviennent rivaux politiques. Mais ses liens avec Laurent Gbagbo, auprès duquel il s’engage lors des « années de braise », se renforcent. « Les relations de subordination et de patronage sont très puissantes au sein de la Fesci, explique Richard Banégas, directeur de la revue « Politique africaine », dans un article du 22 décembre 2010 sur France 24. Charles Blé Goudé est le ‘bon petit’ de Laurent Gbagbo. »
En 2001, il crée le Congrès panafricain des jeunes et des patriotes (Cojep), mouvement de lutte contre l’impérialisme et le néocolonialisme. Licence d’anglais en poche – obtenue dans des conditions controversées –, il s’inscrit d’abord en master de gestion et prévention des conflits à Manchester, en Angleterre, avant de tout plaquer pour regagner Abidjan lors du début de la guerre civile en Côte d’Ivoire en septembre 2002 et apporter son soutien au président Laurent Gbagbo. Il fonde cette même année l’Alliance des jeunes patriotes pour le sursaut national, qui organise plusieurs manifestations, violentes pour certaines, pour obtenir le départ des forces armées non ivoiriennes et « l’indépendance économique » du pays. Ce mouvement, couramment appelé Jeunes patriotes, joue un rôle important et controversé durant toute la durée de cette crise.
« Si vous dormez, réveillez-vous »
Le 6 novembre 2004, alors que Paris a détruit l’aviation militaire ivoirienne en représailles à l’assassinat de neuf soldats français, le charismatique leader politique lance à la télévision un appel à la population : « Si vous êtes en train de manger, arrêtez-vous. Si vous dormez, réveillez-vous. L’heure est venue de choisir entre mourir dans la honte ou dans la dignité ». Des dizaines de milliers de personnes répondent à son ultimatum et de violents affrontements éclatent dans les rues. Les belligérant, furibonds, s‘en prennent à des Occidentaux et à leurs propriétés.
Dès 2005, sentant le vent changer, l’orateur cherche désormais à pacifier les foules. N’hésitant pas à se comparer à Nelson Mandela ou Martin Luther King, il concède quelques « dérapages », présente des excuses et appelle les Ivoiriens à la concorde. Des exercices de repentances quelque peu tardifs pour la justice internationale : il est condamné par l’ONU le 7 février 2006. Il n’a plus le droit de voyager et ses avoirs sont gelés.
Cela ne l’empêche pas de devenir ministre de la Jeunesse, de la Formation professionnelle et de l’Emploi sous la présidence contestée de Laurent Gbagbo, que l’opposition ivoirienne et la communauté internationale ne reconnaissent pas. Mais après de nouveaux affrontements en avril 2011 et l’assaut des forces armées d’Alassane Ouattara contre le palais présidentiel d’Abidjan, Charles Blé Goudé s’enfuit en exil. Sous le coup d’un mandat d’arrêt international, il est arrêté le 17 janvier 2013 à Accra, détenu par la police ghanéenne, puis extradé vers la Côte d’Ivoire le lendemain. La Cour pénale internationale annonce avoir émis un mandat d’arrêt à son encontre le 21 décembre 2011, le poursuivant pour crimes contre l’humanité commis en 2010-2011 (meurtres, viols, persécutions…). Le 20 mars 2014, le conseil des ministres de Côte d’Ivoire accepte de remettre Blé Goudé à la CPI. Il y est transféré le 22 mars 2014, rejoignant Laurent Gbagbo et son épouse Simone.
Cuisine politique
À la prison de Scheveningen, le détenu, toujours en costume ou boubou impeccable, consacre une grande partie de son temps aux visites, peaufine sa défense, rédige des manuscrits, cuisine. L’ancien chef des Patriotes concocte lui-même ses recettes culinaires ivoiriennes et africaines grâce à un accord passé avec la direction pénitentiaire qui l’approvisionne en produits alimentaires agricoles ivoiriens et africains. Il mijote son retour.
Le 15 janvier 2019, Charles Blé Goudé est acquitté par la Cour pénale internationale. Mais un nouveau rebondissement judiciaire suspend sa remise en liberté, après un nouvel appel déposé par le procureur devant la CPI. Il est alors libéré sous condition et est contraint de rester aux Pays-Bas. Il fonde la même année un parti politique, le Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (Cojep), dont il est élu président lors du premier congrès du parti, en août 2019, tablant sur un acquittement prochain.
Laurent Gbagbo, prochain rival politique ?
Pari gagné, il est définitivement relaxé. Mais le patron du récent Cojep ne peut rentrer au pays, comme Laurant Gbagbo a pu le faire en juin 2021, faute de passeport. Multipliant les excuses et les gestes d’apaisement en direction de l’actuel président Alassane Ouattara, il obtient finalement le précieux document en mai. Mais il n’en a pour autant fini avec la justice. Comme Laurent Gbagbo, il a été condamné par contumace en Côte d’Ivoire à 20 ans de prison pour des faits liés à la crise post-électorale. Sauf que Laurent Gbagbo a obtenu en août une grâce présidentielle dans cette affaire. Celle de Charles Blé Goudé est toujours entre les mains d’Alassane Ouattara.
Pour la suite, l’ancien détenu n’a rien dévoilé de ses intentions politiques prochaines. Va-t-il à nouveau soutenir Laurent Gbagbo désireux de prendre sa revanche à la présidentielle de 2025 ? Ou prendre le large avec son « père » politique ? Ses liens se sont distendus avec l’ancien président. Mais le quinquagénaire l’a affirmé dans un entretien avec RFI : « [Je ne serai] jamais l’adversaire politique du président Laurent Gbagbo, quelqu’un avec qui j’ai tout appris, quelqu’un avec qui j’ai partagé la douleur de la prison. » Dans l’attente d’une réponse, il se veut « rassembleur », au-delà des clivages politiques. Sans jamais exclure de prendre un jour les rênes du pays.