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« Dans les dossiers de crimes contre l’humanité, les témoignages sont la preuve centrale »

« Dans les dossiers de crimes contre l’humanité, les témoignages sont la preuve centrale »


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Kunti Kamara, ex-chef rebelle, est jugé devant la cour d’assises de Paris pour « tortures, actes de barbarie et complicité de crimes contre l’humanité » commis lors de la première guerre civile du Liberia (1989-1996).

Il n’existe pas de preuve matérielle contre Kunti Kamara, jugé devant la cour d’assises de Paris pour « tortures, actes de barbarie et complicité de crimes contre l’humanité » commis lors de la première guerre civile du Liberia (1989-1996). Mais la réclusion criminelle à perpétuité a été requise, lundi 31 octobre, contre l’ancien commandant du Mouvement uni de libération du Liberia pour la démocratie (Ulimo), un groupe rebelle qui, au moment des faits, en 1993 et 1994, était en guerre contre le Front national patriotique du Liberia (NPFL) dirigé par Charles Taylor. « Les crimes dont Kunti Kamara s’est rendu responsable sont les plus graves qui soient, a conclu l’avocate générale Aurélie Belliot au terme d’un réquisitoire de près de quatre heures. Ils ont détruit des vies et leur gravité a porté atteinte à l’humanité tout entière. »

La preuve testimoniale est la clé de voûte de l’accusation. De la crédibilité des témoins auprès de la cour dépend le sort de l’accusé. « Il n’y a pas de traces ADN, pas de téléphonie, avait reconnu, vendredi, Me Sabrina Delattre, avocate des parties civiles et de Civitas Maxima, une organisation non gouvernementale (ONG) à l’origine de la plainte déposée contre Kunti Kamara. Ce procès tient grâce à la parole des victimes. Elle est au cœur du procès. » Les témoins sont-ils dignes de foi ? « Aucun n’a exagéré les faits, a-t-elle ajouté. Ils sont restés dans la mesure, la distanciation. »

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Kunti Kamara reconnaît avoir été un combattant du front, un « battlefront commander », au sein de l’Ulimo. Mais il nie avoir participé au déchaînement de violence qui a visé les civils de la ville de Foya, au nord-ouest du Liberia, entre juillet 1993 et fin 1994. « Je n’en sais pas plus sur lui après ce procès, car il a nié “ad nauseam” tout ce qui s’est passé à Foya, a déclaré Me Delattre. Il n’a pas été décrit comme un homme sanguinaire ni comme quelqu’un de compatissant, mais tout le monde le place dans le décor. » En le montrant du doigt, en le regardant dans les yeux et parfois en l’invectivant, douze témoins et huit parties civiles ont formellement identifié l’accusé, qui dénonce un « complot », des « accusations fausses et mensongères » contre lui.

« La vie n’était plus qu’une question de chance »

« Certains témoignages ont fait apparaître des contradictions et des décalages dans les versions, a admis Me Sabrina Delattre. La mémoire est imparfaite parce qu’elle s’est construite dans un contexte traumatisant, celui d’une guerre sanglante. Ce contexte peut provoquer de l’hypermnésie ou de l’amnésie. On peut par exemple se souvenir de certains détails [lors d’un massacre], mais pas de sa date. » « Les témoignages ne sont pas des “sous-preuves”, a insisté Me Claire Thouault, l’autre avocate générale. Dans ces dossiers de crimes contre l’humanité, ils sont la preuve centrale, comme lors des procès en lien avec le génocide des Tutsis au Rwanda. »

Dans les années 1990, le Liberia fut un théâtre d’horreur. Agrippés à la barre du tribunal, les témoins ont raconté l’indicible. Pendant ces trois premières semaines d’audience, ils ont décrit comment l’Ulimo faisait régner la terreur. Ils ont raconté les exécutions sommaires, expliqué comment ils avaient vu le cœur de David N. être arraché et mangé cru. Ils ont aussi décrit des morceaux de corps jetés dans une brouette et vendus de force à la population. Dans ce chaos « où la vie n’était plus qu’une question de chance », comme l’a souligné Me Aurélie Belliot, les violences sexuelles étaient la norme. « Les viols des femmes et des jeunes filles étaient systématiques pour tous les groupes rebelles après la capture d’un village », a rappelé Me Claire Thouault.

Kunti Kamara est notamment accusé d’avoir cautionné le viol de deux femmes, ce qui lui vaut d’être poursuivi pour « complicité de crimes contre l’humanité », les faits présumés étant situés après le 1er mars 1994, date à laquelle l’infraction est entrée dans le droit pénal français. Mardi 25 octobre, Esther N. a raconté comment « Babylon », un des gardes du corps de Kunti Kamara, l’avait violée pendant plusieurs jours. Tordue de douleur, elle s’est ensuite effondrée au sol et son audience a été définitivement interrompue.

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Me Marilyne Secci, avocate de la défense, a commencé sa plaidoirie en dénonçant « un procès inéquitable » où, « faute de moyens », une reconstitution des faits en présence de Kunti Kamara n’avait pu être envisagée à Foya. « Ce procès fut bienveillant à l’égard des victimes mais pas pour mon client, a-t-elle déclaré. On voulait qu’il avoue mais pas qu’il s’explique. » Puis, l’avocate a exigé des preuves de culpabilité : « Il n’y a pas d’acte de décès, ni même de cadavre. Pourquoi est-ce que personne n’a creusé pour retrouver le corps [de David N.] ? Je veux bien croire que la justice libérienne soit pauvre, mais elle dispose bien d’une pelle ! »

Me Marilyne Secci, qui a demandé l’acquittement de son client, s’est ensuite attelée à montrer la fragilité des témoignages, rappelant que le doute devait profiter à l’accusé. Le ministère public « a mis les témoignages sur un piédestal car il n’a que ça. Les témoins se contredisent et on tente de nous faire croire que cela donne de la crédibilité aux propos. Autrefois, la justice ne s’appuyait que sur cela, mais nous sommes en 2022. Peut-on aujourd’hui condamner Kunti Kamara avec un seul témoin direct pour des faits aussi graves commis il y a trente ans ? Et pourquoi faudrait-il donner plus de crédit à un témoin qu’à l’accusé ? »

« Compétence universelle »

Ce procès est le premier en France pour des crimes commis pendant les guerres civiles du Liberia, dont le bilan s’élève à 250 000 morts. Il se tient à Paris en vertu de la « compétence universelle » qui permet de juger des crimes graves où qu’ils aient été commis, lorsque le suspect est arrêté sur le territoire français. En 2018, Kunti Kamara avait été arrêté à Bobigny (Seine-Saint-Denis) alors qu’il tentait de fuir vers le Portugal sous une fausse identité, avant, probablement, de s’envoler vers la Guinée.

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Deux autres procès en lien avec les atrocités commises au Liberia, où les crimes n’ont jamais été jugés, ont déjà livré leur verdict. En 2019, aux Etats-Unis, Mohamed Jabbateh a été condamné à trente ans de prison pour avoir menti aux autorités de l’immigration sur son rôle de commandant au sein de l’Ulimo. En Suisse, c’est Alieu Kosiah, proche de Kunti Kamara, qui a été condamné en 2021 à vingt ans de réclusion pour le meurtre de 19 personnes, l’utilisation d’un enfant-soldat de 12 ans et le viol répété d’une villageoise. Il a été condamné sans preuves matérielles, sur la foi de témoins venus du Liberia. Son procès en appel est prévu en janvier.

Kunti Kamara s’exprimera une dernière fois dans la matinée de mercredi, puis la cour d’assises se retirera pour délibérer. Le jugement est attendu dans l’après-midi.

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