Prenez l’Union européenne, l’Inde, ou quatorze milliards de mètres cubes de mélange de calcaire et d’argile chaque année, et vous trouverez l’impact carbone de la production du ciment dans le monde. Juste après les États-Unis et la Chine, l’urbanisation galopante a fait du clinker une production trois fois plus polluante que le secteur aérien. On estime à 150 tonnes le volume de béton coulé chaque seconde… Un débit faramineux, tout en sachant qu’une tonne de ciment correspondrait à 1 tonne de dioxyde de carbone rejeté dans l’atmosphère.
Le plus problématique n’est pas même pas ce constat. Mais les perspectives. L’industrie est représentée par quelques gros industriels au lobbyisme surpuissant, tout comme d’une compétitivité prix inaliénable. Les méthodes de production sont rigides elles aussi. Pour créer le fameux clinker, il est nécessaire de chauffer le mélange à plus de 1 400 degrés. Les fours, attribués à cette activité, sont alimentés par une combustion fossile. Il faut dire que pour monter à des températures aussi fortes, les solutions alternatives plus efficientes se font rares. Mais le développement technologique n’est pas mort pour autant.
Coolbrook, la startup qui s’attaque aux fours à ciment
Au retour de la COP27 en Égypte, un certain Joonas Rauramo, PDG de la société Cookbrook, se veut pourtant optimiste. Il est à la tête d’une équipe, basée en Finlande, prête à démontrer le mois prochain qu’un four électrique pourra prendre le relais pour la production de ciment des décennies futures. Entre ses mains, l’innovation s’appelle RotoDynamic. Elle est déjà protégée par brevet tant pour son fondateur, elle pourrait constituer une solution pour épargner 2,4 milliards de tonnes d’émissions de CO2 par an.
“La principale raison pour laquelle nous voulions être à la COP27 était de faire passer le message qu’il existe des technologies disponibles pour résoudre le problème dans les industries considérées comme difficiles à réduire – ou impossibles à électrifier – qu’il existe des technologies qui peuvent aider à résoudre ces problèmes”, déclarait-il, relayé par le magazine Fortune. RotoDynamic n’a pas encore fait entièrement ses preuves, mais le but était de démontrer qu’une solution était possible.
À ce jour, Coolbrook et son four électrique ont pu faire monter la température à plus de 650 degrés celcius. Les premiers essais à plus de 1000 degrés sont prévus le mois prochain. Pour y arriver, ses ingénieurs se sont appuyés sur le principe de friction. En accélérant l’air, les particules se frottent et créent de la chaleur, un principe qui fonctionnerait à l’énergie renouvelable dans le cas de leur innovation. “Il y a un moteur électrique qui fait tourner ces pales, et elles sont utilisées pour accélérer l’air à une vitesse supersonique, qui est ensuite ralentie à nouveau rapidement, convertissant l’énergie cinétique en chaleur”, précisait Joonas Rauramo.
En tout, la part des émissions de gaz à effet de serre des fours dans la production de ciment serait de l’ordre d’un tiers. Le reste viendrait de la calcination, ce processus chimique pour la création du ciment. En décarbonant le processus de chauffage, une part importante des émissions disparaîtrait, mais rien n’évoluerait sur le reste. Dans un article, la société McKinsey parlait d’un processus “inévitable” qui rendrait les objectifs de neutralité carbone en 2050 “particulièrement difficile pour l’industrie”.
Une startup française à la rescousse
Chez les Français de Hoffmann Green Cement Technologies, l’impossible ne fait pas partie du vocabulaire. En surfant sur de nouvelles mesures mises en place par l’État, cette startup lancée en 2014 a développé un nouveau ciment bas carbone en se reposant sur “un savant mélange de liants activés à froid”, comme le détaillait nos confrères et consoeurs de France 3 Pays de la Loire – la startup étant installée en Vendée. La production a débuté il y a deux ans maintenant et trois sites de production sont prévus pour satisfaire le carnet de commandes.
“Nous avons déjà signé des partenariats avec des entreprises majeures de la construction française, qui veulent mettre le pied à l’étrier”, expliquait à la télévision Julien Blanchard, le PDG de l’entreprise qui s’est introduite à la Bourse de Paris en octobre 2019. Après une forte correction de son titre (-40 %), l’entreprise capitalise tout de même 153 millions d’euros aujourd’hui. Ses investissements continueront de peser sur sa balance, mais la jeune société vise la rentabilité d’ici 2025. Cette année, 250 000 tonnes de ciment bas carbone sont prévues par Hoffmann Green Cement Technologies.
En restera le prix, qui pour l’heure est tout de même 60 % plus élevé que du ciment classique. Face à des solutions comme celle de Coolbrook, pour réduire l’impact carbone via les fours, la startup française pourrait rencontrer des difficultés à s’imposer à court terme. En 2026, elle s’attend cela dit à écouler 550 000 tonnes, pour atteindre un chiffre d’affaires de 120 millions d’euros et un Ebitda de 40 %. À ce stade, Hoffmann Green Cement Technologies pèserait alors pour 3 % du marché national.