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« c’est la pire crise économique que j’aie connue »

« c’est la pire crise économique que j’aie connue »


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Le marché de Makola, à Accra, le 26 mars 2022.

Makola n’est plus que l’ombre de lui-même. L’effervescence qui régnait encore il y a six mois sur le grand marché d’Accra s’est éteinte. On ne joue plus des coudes dans les artères jadis saturées de passants et de marchandises. La capitale du Ghana suffoque : l’inflation a dépassé 40 % en octobre et le cedi a perdu la moitié de sa valeur face au dollar, figurant désormais au rang des monnaies les moins performantes du continent. Les prix du logement, de l’eau, de l’électricité et du gaz ont augmenté de près de 70 %, ceux des transports et du carburant de 46 % – du jamais-vu depuis vingt ans. « On ne se déplace plus que sur nos pieds, on mange à peine », résume une vendeuse de pagnes du marché.

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Car la crise est profonde. La dette publique du Ghana dépasse désormais 100 % de son PIB et le service de la dette absorbe la moitié des recettes de l’Etat. Le pays, de l’aveu de son ministre des finances, Ken Ofori-Atta, se trouve « en risque élevé de surendettement », alors que les réserves de change ont fondu de 9,7 milliards de dollars fin 2021 à 6,6 milliards en septembre. Le gouvernement de Nana Akufo-Addo, qui vantait encore l’an dernier un « Ghana Beyond Aid » (le Ghana au-delà de l’aide), a donc dû ravaler sa fierté en juillet et appeler à la rescousse le Fonds monétaire international (FMI), dont il espère obtenir un prêt de 3 milliards de dollars.

Une délégation du FMI a été dépêchée à Accra début décembre et le Ghana a lancé cette semaine une bourse de la dette intérieure, prévoyant de restructurer sa dette afin d’ouvrir la voie à un renflouement par l’institution de Washington. Jugeant probable que les créanciers privés subissent des pertes importantes, Moody’s vient d’abaisser de deux niveaux la note de crédit du Ghana, rétrogradé à « Ca », l’avant-dernière note de l’agence. Soit le même niveau que le Sri Lanka, qui est, lui, déjà en défaut de paiement.

Un repas par jour

Dans le quartier populaire de Kokomlemle, au centre de la capitale, Martin Wiafa tient une épicerie où il revend des produits de première nécessité achetés au marché de gros. Le commerçant de 60 ans est formel : « C’est la pire crise économique que j’aie connue. Ce que j’achetais 3 cedis au marché il y a six mois coûte aujourd’hui le double, dit-il. Pour réduire mes frais, j’ai dû arrêter de prendre les transports en commun, et pour dégager une petite marge, j’ai augmenté les prix à mon tour. »

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Son épouse nous attire vers l’arrière-boutique pour montrer ses stocks décimés. Le congélateur, qui contient d’ordinaire « 70 ou 80 poulets à la fois », n’est rempli que de glaçons. La viande est devenue trop chère, les clients ne peuvent plus suivre. Le couple Wiafa lui-même a cessé d’en consommer, ou une fois par semaine quand les affaires sont bonnes. Le reste du temps, il se contente de céréales, de tubercules et de poisson salé. Pour pouvoir continuer de nourrir leurs quatre enfants, ils ne prennent plus qu’un repas par jour.

Le gouvernement n’a pas plafonné le prix des produits alimentaires, mais il a consenti à augmenter le salaire minimum

Contrairement à son voisin ivoirien, le gouvernement libéral d’Accra n’a pas plafonné le prix des produits alimentaires de grande consommation. Mais il a consenti à augmenter le salaire minimum de 10 % et à introduire une indemnité de coût de la vie équivalant à 15 % de ce même salaire minimum, dont le montant passera à 14,88 cedis par jour (1,08 euro) au 1er janvier. Soit moins qu’une barquette d’igname et de poisson frit achetée dans une échoppe de rue.

« Nous sommes exsangues », résume Amadou Tijani, qui tient une minuscule boutique de vêtements dans un conteneur à Kokomlemle. « Les gens n’ont déjà pas de quoi manger, vous croyez qu’ils vont m’acheter des tee-shirts ? Avant, c’était moi qui faisais vivre ma famille éloignée. Aujourd’hui, je dois leur demander des virements d’argent mobile pour survivre. C’est humiliant », se désole le vendeur, qui a dû licencier ses deux employées. Avant la crise, il gagnait entre 1 000 et 2 000 cedis par semaine, dit-il, contre à peine 200 aujourd’hui (soit moins de 15 euros). Quant à faire des économies, mieux vaut l’oublier : depuis que le cedi a dégringolé, il faut dépenser l’argent à peine gagné, comme s’il brûlait les doigts.

« Eléphants blancs »

« Il n’existe pas encore de données à l’échelle nationale, mais on peut déjà deviner, à certains indicateurs, que le taux de pauvreté est monté en flèche », reconnaît l’économiste Peter Quartey, directeur de l’Institut de recherche statistique, sociale et économique (Isser) de l’Université du Ghana. Selon les données les plus récentes (2018), 24,2 % de la population nationale vivait déjà sous le seuil de pauvreté. « Les inégalités aussi augmentent, poursuit le professeur Quartey. C’est de toute façon le schéma qui se répète à chaque crise inflationniste : les pauvres s’appauvrissent tandis que les riches maintiennent bon an mal an leur niveau de vie. »

Dans la bouche des autorités, la même rengaine revient, lancinante : la crise est mondiale, la faute incombe d’abord à la pandémie de Covid-19, ensuite à la guerre russo-ukrainienne. Cela, les Ghanéens le savent. Mais ils savent aussi que leur pays, autrefois présenté comme le bon élève des économies ouest-africaines, est l’un des plus touchés au monde.

Conscient de l’urgence, l’Etat cherche à adopter des mesures d’austérité sur les salaires des membres du gouvernement et leurs dépenses de fonctionnement, avec un moratoire sur les achats de voitures et les voyages non essentiels, et la promesse de geler l’embauche de fonctionnaires. Pour endiguer la dévaluation du cedi, la Banque centrale du Ghana (BoG) a relevé son taux directeur à 24,5 % en octobre. En revanche, aucune coupe n’est prévue pour les « éléphants blancs » du gouvernement d’Akufo-Addo, des projets aussi coûteux que démesurés, comme la cathédrale nationale du Ghana commandée à l’architecte star David Adjaye pour un budget estimé à 345 millions d’euros.

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Pour récupérer des capitaux, Accra semble désormais prêt à tout. Même à considérer le troc, en échangeant son or contre du pétrole avec les Emirats arabes unis, afin de tenter de reconstituer ses réserves de change. Après avoir demandé fin novembre aux grandes sociétés minières de vendre 20 % du métal qu’elles raffinent à la BoG afin de constituer des réserves de lingots, le gouvernement vient ainsi de conclure un accord « provisoire » avec la société pétrolière Emirates National Oil Company (ENOC), basée à Dubaï, pour pouvoir importer du carburant.

Gaz lacrymogènes

C’est aussi au troc que sont revenues certaines villes frontalières. Comme Wuru, petite communauté déshéritée de 3 000 habitants du Haut-Ghana occidental, qui emploie également le franc CFA puisque la monnaie du Burkina Faso tout proche s’est montrée plus fiable que la devise locale. De même sur le flanc est du pays : à Aflao, point d’entrée sur le Togo, les commerçants préfèrent désormais le franc CFA au cedi. Quant à l’eco, le projet de monnaie unique de la Cédéao, son lancement a été reporté à 2027.

« Ce que cette crise nous a révélé, c’est une totale incompétence dans la gestion de nos finances publiques », résume Mathieu Fosu, marchand de tableaux depuis vingt ans à Accra. Autrefois acquis au parti présidentiel, M. Fosu a voté pour la réélection de Nana Akufo-Addo en 2020. Aujourd’hui, il le regrette. « On l’a maintenu au pouvoir sur une promesse simple, celle d’améliorer notre niveau de vie. Et cette promesse, il ne l’a pas tenue. C’est même pire qu’avant ! Si le président a un minimum de conscience, il doit démissionner, et Ken Ofori-Atta avec lui. » Parmi les illustrations qu’il expose, le marchand avait l’habitude de proposer des portraits de Nana Akufo-Addo. Plus maintenant, explique-t-il : non seulement celles-ci ne se vendent plus, mais certains clients enrageaient en voyant son visage au mur.

A plusieurs reprises ces derniers mois, des centaines de manifestants ont défilé pour protester contre la vie chère

La cherté de la vie a relancé la grogne dans une population déjà échauffée par le mouvement #FixTheCountry. Né sur Twitter, il avait gagné les rues d’Accra l’an passé pour protester contre la gouvernance du pays et les scandales récurrents de corruption. A plusieurs reprises ces derniers mois, des centaines de manifestants ont défilé dans la capitale pour protester contre la vie chère, sans obtenir d’autre réponse du gouvernement que des tirs de Flash-Ball ou de gaz lacrymogènes et des arrestations en série.

Lire aussi : Au Ghana, la délicate affaire Aisha Huang, « reine » chinoise de l’orpaillage clandestin

Le comble de la désillusion a été atteint le 14 novembre, lorsque le célèbre journaliste d’investigation Anas Aremeyaw Anas a dévoilé un nouveau documentaire sur la « galamsey economy », l’orpaillage illégal endémique au Ghana. Le secrétaire d’Etat aux finances, Charles Adu Boahen, y est filmé en caméra cachée alors qu’il propose à de pseudo-investisseurs – en réalité des journalistes ghanéens – d’user de son influence pour obtenir une rencontre avec le vice-président contre une commission rondelette de 200 000 dollars. Le documentaire a provoqué un tollé et le président Akufo-Addo a renvoyé Charles Adu Boahen sur-le-champ. Mais le mal était déjà fait.

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