Tant qu’elles lieront leur prospérité à leurs volumes de ventes, les entreprises continueront de mobiliser les publicitaires pour inciter à acheter toujours plus, estime l’économiste Philippe Moati, professeur à l’université Paris-Cité.
La mission de la publicité est de rendre un produit désirable pour déclencher un acte d’achat. Dans un contexte d’exigence de sobriété, quelle est sa légitimité ?
C’est un vieux débat chez les économistes : le rôle de la publicité est-il d’informer les consommateurs ou de stimuler leur désir de consommer ? Les publicités comparatives, qui aident à bien consommer, sont relativement rares. La plupart des campagnes obéissent à une logique de séduction pour aider les marques à se différencier et à vendre leurs produits. Elles véhiculent généralement une promesse hédonique et de bonheur à travers les plaisirs de la consommation. Mais le savoir-faire des agences peut également être mis au service du changement culturel – requis par l’exigence de mutation du modèle de consommation – et de la sensibilisation des consommateurs aux bons choix et aux bons gestes.
Le consommateur n’est-il pas censé disposer d’un esprit critique qui, en principe, devrait lui permettre d’arbitrer au milieu de publicités tentatrices ?
Certes, mais le numérique (entre big data, algorithmes prédictifs et recours aux influenceurs) permet au marketing d’être de plus en plus précis et efficace dans l’activation du désir. En outre, ce regard critique est dépendant du capital culturel dont dispose l’individu et qui contribue à définir la place laissée à la consommation dans sa vie, voire dans la construction de son identité. La consommation a rempli le vide laissé par le recul des supports traditionnels de la construction de soi comme les idéologies, la religion, la conscience de classe, le travail… Les personnes ne disposant pas du capital social et culturel suffisant sont particulièrement perméables à la consommation et aux industries du divertissement, ainsi qu’aux valeurs et aux modèles qu’elles véhiculent. Il s’agit là d’un point particulièrement problématique quand la complexité du monde couplée au déficit de clés de lecture et de perspectives utopiques heureuses est source d’anxiété.
Mais avec la reprise de l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat, ou encore la très grande nervosité qu’a provoquée la pénurie de carburant, quel est l’avenir de notre société de « surconsommation » ?
On touche là la contradiction fondamentale que nous allons devoir surmonter si on veut tenter d’éviter la dimension catastrophique de la crise écologique. Dans notre société d’hyperconsommation, l’intensification des tensions sur le pouvoir d’achat et l’entrée dans un régime de consommation sous contrainte sont sources de frustrations croissantes. Comment faire tenir une société devenue experte dans la capacité à attiser le désir de consommer mais qui n’en donne plus les moyens ? La crise des « gilets jaunes » a été, à cet égard, un avertissement. Il y a donc urgence à accélérer le changement culturel en cours et à promouvoir d’autres voies de bien-être individuel que le « toujours plus » dans la consommation.
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