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En plein cœur de Dakar, Amy Ndiaye déambule dans les allées du marché Tilène, l’un des principaux de la capitale sénégalaise. Cette mère de deux enfants est venue acheter des œufs pour préparer des sandwichs à l’omelette qu’elle vend ensuite dans la rue. « La boîte coûtait 1 500 francs CFA [environ 2,30 euros] au début de l’année, maintenant elle est à 2 500 francs CFA », se plaint la cliente, qui a dû revoir ses dépenses quotidiennes. « J’ai arrêté de m’acheter de nouveaux habits et j’ai réduit ma consommation de crédit téléphonique », détaille-t-elle.
L’inflation a atteint 8,9 % en juin sur un an, selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), contre une moyenne annuelle de seulement 1 % en 2019. Les produits alimentaires et les boissons non alcoolisées, suivis des transports, du logement, de l’eau, du gaz et de l’électricité sont les premières dépenses concernées par la hausse des prix. Ce défi du quotidien s’est invité dans la campagne électorale, alors que les Sénégalais sont appelés à voter pour renouveler le Parlement dimanche 31 juillet.
Ousmane Sonko, l’une des figures de la coalition d’opposition Yewwi Askan Wi (YAW), a d’ailleurs promis lors d’une caravane politique, le week-end dernier, que la première loi votée serait consacrée au pouvoir d’achat, « car les Sénégalais sont fatigués ». « Nous nous sommes engagés à adopter dès la session budgétaire prochaine toutes les mesures qui réduiront le coût de la vie », précise Moussa Tine, chargé des programmes de YAW. Il donne pour exemple la suspension temporaire de certaines taxes, le versement de subventions pour des produits et services de consommation courante ou la mise en place d’un fonds spécial d’appui pour les familles vulnérables.
Revalorisation des retraites
Autant de dispositions qu’approuve Ahmed Ba, derrière son étal encombré de bidons d’huile et de sacs de farine du marché Tilène. Mais le commerçant redoute qu’il s’agisse de promesses sans lendemain. « Les politiques ont déjà fait des annonces similaires, mais les prix sont toujours à la hausse », râle-t-il. Lui-même vend ses jerrycans de 20 litres d’huile et ses sacs d’oignons deux fois plus cher que quelques mois plus tôt, et le sac de riz brisé parfumé est passé de 17 000 à 21 500 francs CFA en moins de six mois. « Ces augmentations sont imposées par les grossistes, mais mes bénéfices n’augmentent pas car j’applique les mêmes marges », se justifie le détaillant, qui a des difficultés à récolter la somme nécessaire pour l’achat de nouvelles marchandises.
Cette situation est liée à un contexte mondial de hausse des prix qui a débuté avec la pandémie de Covid-19 et s’aggrave sous l’effet du conflit russo-ukrainien. « L’inflation est marquée dans les pays comme le Sénégal, dont l’approvisionnement en produits essentiels – hydrocarbures, médicaments, denrées de première nécessité – est assuré par les importations », observe le professeur Seydi Ababacar Dieng, directeur du Laboratoire de recherches économiques et monétaires de l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar. A cette équation complexe s’ajoute la menace d’une rupture des approvisionnements en céréales, alors que plus de 60 % du blé importé au Sénégal vient de Russie et d’Ukraine.
Face à cette conjoncture, le gouvernement se targue d’avoir rapidement réagi. « Dès 2020, nous sommes intervenus avec la distribution de kits alimentaires et le paiement des factures d’eau et d’électricité », rappelle Amadou Hott, le ministre de l’économie, qui bat campagne pour le camp présidentiel dans son fief de Yeumbeul, en banlieue de Dakar, sans pour autant être investi sur la liste de la coalition de la majorité, Benno Bokk Yakaar (BBY). D’autres mesures ont été prises ces derniers mois pour préserver le pouvoir d’achat : augmentation des salaires de certains fonctionnaires, distribution de 80 000 francs CFA (120 euros) à 543 000 familles vulnérables en mai et, très récemment, revalorisation des pensions de retraite.
Les subventions sur les hydrocarbures pèsent de plus en plus lourdement sur le budget de l’Etat
Pour atténuer l’inflation importée, l’Etat a aussi renoncé à 47 milliards de francs CFA (71,7 millions d’euros) de taxes et de droits de douane en septembre 2021. Alors que le prix du blé est monté en flèche, le gouvernement a décidé de subventionner plus largement les meuniers afin que la baguette de pain ne coûte pas plus cher au consommateur. Idem pour l’électricité et le carburant (sauf le super), dont le tarif n’a pas bougé alors que les cours du pétrole ont explosé sur les marchés mondiaux. Mais ces subventions sur les hydrocarbures pèsent de plus en plus lourdement sur le budget de l’Etat. Selon Amadou Hott, elles coûtent désormais 300 milliards de francs CFA, soit 2 % du PIB du pays.
Certains experts doutent qu’une telle politique soit tenable sur le long terme. « Le blocage des prix devient quasiment impossible, car trop coûteux », juge ainsi l’économiste Seydi Ababacar Dieng, ajoutant qu’« un ajustement budgétaire très strict sera probablement indispensable dans les prochains mois ».
Réduire le train de vie de l’Etat
Afin de pouvoir continuer de soulager les populations, la coalition YAW veut faire voter une loi rectificative du budget, rapidement après les élections, qui permettrait de « rationaliser les dépenses étatiques ». Une autre coalition d’opposition, l’Alternative pour une assemblée de rupture (AAR), propose aussi une réduction du train de vie de l’Etat, incluant notamment une diminution du nombre de ministère et de directions.
Chaque camp promet également d’améliorer le pouvoir d’achat des Sénégalais par la mise en œuvre de politiques structurelles de long terme : augmentation de la production locale pour aller vers une autosuffisance alimentaire, transformation des produits bruts locaux pour créer de la valeur ajoutée et de l’emploi, accompagnement du secteur privé, développement de pôles économiques en dehors de Dakar…
Le loyer est l’une des principales dépenses qui pèsent sur le budget des ménages sénégalais, surtout dans la capitale, qui concentre 23 % de la population. « Nous travaillons à désengorger Dakar avec le train express régional, l’autoroute et la construction de 100 000 logements sociaux », affirme Amadou Hott. Des mesures insuffisantes selon Moussa Tine, de YAW, qui considère que la loi actuelle sur la régulation des loyers a plutôt contribué à les faire augmenter depuis son entrée en application, en 2014. « Des mesures de démocratisation de l’accès au foncier seraient davantage efficaces », estime-t-il.
En attendant, Amy Ndiaye s’est mise à travailler des heures supplémentaires, matin et soir, afin de réussir à joindre les deux bouts et à nourrir ses enfants correctement.