Pas de sécurité à l’entrée, une salle de presse quasi vide et des délégués qui s’étonnent presque qu’on s’intéresse à eux : organisé à Brighton (sud-est de l’Angleterre) du 18 au 20 octobre, le congrès annuel de la fédération britannique des syndicats (Trades Union Congress, TUC, regroupant 48 syndicats et 5,5 millions de travailleurs) avait triste allure. L’impression est trompeuse : les journalistes étaient coincés à Londres à l’affût d’un gouvernement sur le point d’imploser – la première ministre, Liz Truss, ayant finalement démissionné le 20 octobre. Et, surtout, les syndicalistes étaient très occupés sur le terrain à préparer les prochaines grèves.
Car après avoir été cassé il y a presque quarante ans par l’ancienne première ministre Margaret Thatcher, puis longtemps marginalisé par les médias et le personnel politique, le mouvement syndical redresse la tête. Les adhésions sont en hausse et, ces derniers mois, les arrêts de travail se sont multipliés, dans le secteur public et le privé, avec une fréquence inédite. « Les gens en ont assez, ils trouvent qu’ils sont traités injustement », relève Daisy Carter, 26 ans, professeure de mathématiques dans le sud-ouest de l’Angleterre, prête à faire la première grève de sa carrière à l’appel du syndicat NEU (National Education Union).
Jusqu’à 300 000 infirmiers sont, eux aussi, sondés par leur principal syndicat, le Royal College of Nursing (RCN), pour la première fois depuis sa création en 1916. Le syndicat des sages-femmes, le Royal College of Midwives (RCM), consulte aussi ses membres en vue d’arrêts de travail pour la seconde fois depuis sa fondation en 1881. Côté transports, le syndicat RMT a rarement été autant mobilisé : ses membres enchaînent les grèves depuis l’été et débrayent à nouveau les 5, 7 et 9 novembre. Le CWU, le syndicat des postes et des télécommunications, coordonne aussi des grèves perlées depuis l’été chez Royal Mail – une nouvelle grève est prévue le 12 novembre. « Depuis le début de l’action, il y aura eu dix-neuf jours de grève chez Royal Mail. Ce sont des arrêts de travail tournants, un jour c’est la distribution, l’autre le processing ou les camions parce qu’on ne pourrait pas tenir financièrement autant de jours de grève d’affilée », précise Andy Mason, 49 ans, postier et adhérent du CWU.
Une ère d’austérité
Au cœur des revendications, les augmentations salariales, alors que l’inflation a atteint 10,1 % en septembre et que les salaires moyens stagnent depuis une décennie, conséquence de l’ère d’austérité engagée en 2010 par le gouvernement Cameron. Selon des chiffres du TUC, entre 2008 et 2021, les salariés ont perdu en moyenne et en valeur réelle 20 000 livres sterling (environ 23 230 euros), leurs salaires n’ayant pas progressé comme l’inflation. Face à des prix de l’énergie qui ont doublé et de l’alimentaire qui ont bondi de 14 % sur un an, vivre décemment avec ces rémunérations devient difficile. Selon le NASUWT, syndicat enseignant appelant comme le NEU à la grève, 72 % des enseignants britanniques ont réduit leurs dépenses alimentaires en raison du coût de la vie.
Il vous reste 71.83% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.