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Les supporteurs des Black Stars sont chauffés à blanc. Dans toutes les fan-zones d’Accra, les pubs et jusqu’aux plus modestes échoppes de rue dotées d’une petite télévision, ils ont applaudi leur équipe qui s’est offert la Suisse (2-0) en amical juste avant le Mondial, crié et dansé lorsqu’elle a cru tenir bon face au Portugal, le 24 novembre, hué Ronaldo et son pénalty contesté, pleuré même quand Inaki Williams a trébuché et manqué l’ultime occasion d’égaliser (3-2).
La bande des frères Ayew s’est imposée (3-2) depuis, contre la Corée du Sud, lundi 28 novembre, mais les fans sont unanimes, il ne s’agit que de tours de chauffe avant le duel le plus attendu, celui qui aura lieu le 2 décembre contre l’Uruguay. Car cela fait maintenant douze ans que le Ghana veut sa revanche. « Je m’en souviens comme si c’était hier, gémit Eugene Sonapack, expert-comptable de 48 ans. Les Ghanéens ont eu le cœur brisé. C’est un traumatisme, le mot n’est pas trop fort. »
Eté 2010. Le Ghana dispute la Coupe du monde en Afrique du Sud, la première organisée sur le continent africain. Les Black Stars terminent deuxièmes du groupe D derrière l’Allemagne, mais devant l’Australie et la Serbie. En huitièmes de finale, ils éliminent les Etats-Unis en prolongations (2-1), rejoignant ainsi en quarts le club très restreint des équipes africaines à avoir réalisé pareille performance, aux côtés du Cameroun (1990) et du Sénégal (2002).
« Une tristesse à la limite de l’inexprimable »
Le 2 juillet 2010 à Johannesburg, toute l’Afrique fait donc bloc derrière le Ghana qui doit affronter l’Uruguay, mené par un trio de haut vol : la star Diego Forlan et les espoirs Luis Suarez et Edinson Cavani. Les équipes sont au coude-à-coude. Juste avant la mi-temps, Sulley Muntari, le milieu de terrain des Black Stars, ouvre la marque d’une frappe lointaine.
« On pensait creuser l’écart en deuxième période, mais c’est le contraire qui s’est produit, raconte Eugene Sonapack. A la 10e minute, la Céleste a égalisé sur un coup franc grâce à Diego Forlan, un joueur que personnellement j’ai toujours admiré [Diego Forlan sera sacré meilleur joueur du Mondial]. Le match s’est achevé sur un nul, il a fallu jouer les prolongations. »
Les deux équipes n’arrivent pas à se départager : la 120e minute de jeu arrive, l’arbitre se prépare à siffler la fin du match, chacun se prépare à la séance des tirs au but. Mais, à la 121e minute, le Ghanéen Stephen Appiah tire, Luis Suarez repousse de la jambe vers Dominic Adiyiah qui smashe le ballon de la tête. Le ballon file vers les filets, mais Suarez le bloque… des deux mains.
« Evidemment, les joueurs ghanéens se sont précipités vers l’arbitre », poursuit Eugene. Carton rouge, pénalty. Une fois Suarez expulsé, c’est la star de l’équipe ghanéenne qui s’avance face aux buts. Pour la première fois de l’histoire, Asamoah Gyan pourrait envoyer un pays africain dans le dernier carré de la Coupe du monde.
Mais la pression est trop forte, et Gyan flanche. « C’était un bon tir pourtant, il a envoyé le gardien dans la mauvaise direction. Malheureusement, le ballon a atterri sur la barre transversale… » En sortant du terrain, Suarez exulte. Le match se décide aux tirs au but et l’Uruguay élimine le Ghana par (1-1, 4-2 aux t. a. b.).
« C’est comme avoir le cœur brisé. Littéralement, il y a eu des histoires de fans morts d’un arrêt cardiaque à la fin du match ! » un supporteur du Ghana en 2010
« J’étais dévasté, nous l’étions tous, se souvient Robert Osei, 33 ans, directeur d’une ONG à Accra. Vous savez, ce genre de tristesse à la limite de l’inexprimable… Vous ne mangez plus, vous ne dormez plus, c’est comme avoir le cœur brisé. Littéralement, on entendait des histoires de fans qui étaient morts d’un arrêt cardiaque à la fin du match ! »
« Nous n’avons jamais pardonné »
A l’université que fréquente Robert Osei à l’époque, et dans le reste de la capitale, l’ambiance est morose. Elle émane également des postes de télévision et des stations de radio. « On était tristes, bien sûr, mais en colère aussi. D’abord contre Asamoah Gyan, qui avait manqué le pénalty – même si, avec le temps, nous avons fini par lui pardonner. En revanche, nous n’avons jamais pardonné à Suarez. »
Cette main de l’attaquant uruguayen, le Ghana l’a toujours en travers de la gorge. « On ne se soucie pas vraiment de nos autres adversaires du groupe, pour être honnête, poursuit M. Osei. La seule chose qui importe, c’est qu’on affronte la Céleste le 2 décembre. On veut notre revanche. C’est ce qu’on appelle un “do or die” : les Black Stars doivent l’emporter, sans autre choix. »
Qu’importe que l’équipe du Ghana soit la plus jeune du tournoi (24 ans et 7 mois en moyenne), et que la plupart des joueurs actuels de la sélection aient été tout juste préadolescents en 2010. Le traumatisme a traversé les générations. Cela tombe bien : alors que, côté Ghana, le capitaine, André Ayew, fait partie des anciens de l’épopée sud-africaine de 2010, Diego Alonso a justement retenu Suarez pour la sélection finale.
Et si le capitaine ghanéen a tenté de calmer le jeu en déclarant dans la presse qu’il « ne fallait pas considérer ce match comme une revanche », personne ne s’y est trompé. Le président de la Fédération ghanéenne de football, Kurt Okraku, a appelé son équipe à « remettre les pendules à l’heure », et l’ancien président du Ghana lui-même, John Dramani Mahama (2012-2017), a exigé que les Black Stars « rendent à Suarez la monnaie de sa pièce ! »
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