BEDMINSTER, New Jersey | Des tonnes de fric. Voilà ce qui ébranle l’univers du golf professionnel à l’échelle internationale depuis le printemps. Et quand ce fric provient d’une source quasi inépuisable et aussi controversée que le Fonds public d’investissement d’Arabie saoudite (PIF), les enjeux dépassent les limites du sport. Plongeon dans le monde parallèle de la nouvelle ligue LIV Golf.
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Des ententes de 200 M$ à Phil Mickelson, 150 M$ à Dustin Johnson, 125 M$ à Bryson DeChambeau, 100 M$ à Brooks Koepka. Avec les coffres remplis et les poches pleines, rien n’arrête les dirigeants de la ligue lancée en juin dernier et pilotée par Greg Norman, lesquels veulent appâter les grandes têtes d’affiche, dont plusieurs sont sur le déclin.
LIV Golf occupe les discussions depuis des mois, divise les acteurs et lave l’écosystème du sport en disant avoir mis sur pied une nouvelle façon de présenter le golf.
Le Journal s’est donc rendu sur le site du troisième tournoi au calendrier de la saison inaugurale de LIV cette semaine, dans la campagne cossue du New Jersey à Bedminster, pour observer et connaître la bête menaçante.
« Take the money »
Le tournoi de trois jours est disputé sur le parcours de l’ex-président américain Donald Trump. Le 45e chef d’État est d’ailleurs bien présent sur la propriété. C’est lui qui a récemment incité les golfeurs professionnels à sauter sur l’argent offert par la nouvelle organisation dans une déclaration controversée : « Take the money. »
Car, en présentant des offres mirobolantes à de grandes vedettes des circuits professionnels de la PGA et du DP World Tour en Europe, LIV pique littéralement leur produit.
Greg Norman caressait cette idée de créer un circuit dissident depuis les années 90. Il a réussi en convainquant les autorités saoudiennes d’investir dans son projet.
Des tentacules à travers le monde
En fouillant dans la panoplie d’intérêts financiers du Fonds d’investissement souverain d’Arabie saoudite, qui est le plus opaque sur le globe, on constate que ses tentacules sont étendus à travers la planète, et ce, dans tous les domaines. Que ce soit dans l’énergie, l’immobilier, les technologies, la finance ou le sport.
De Riyad à Los Angeles, en passant par Londres et même… le Québec, par l’entremise de Blackstone, une gigantesque firme américaine liée au PIF.
Quand un client saute dans une voiture Uber, il engraisse le Fonds saoudien.
Quand un passager monte à bord d’un appareil de Boeing, il engraisse le Fonds.
Quand un téléspectateur syntonise le canal Disney ou qu’une famille visite le pays de Mickey Mouse, ils engraissent le Fonds. Quand un gamer joue au Nintendo, il engraisse le Fonds. Celui-ci compte plus de 200 investissements à travers le globe.
D’ici 2030, le plan saoudien Vision 2030 vise à poursuivre la diversification de ses investissements. Les experts prévoient l’expansion du portefeuille à plus de 2000 milliards de dollars.
Ce Fonds, dont le grand manitou est le prince héritier Mohammed ben Salmane, a aussi investi dans le monde du sport.
Il est le propriétaire majoritaire du club de soccer Newcastle United, de la Premier League d’Angleterre. Par le biais de l’entreprise nationale d’hydrocarbures et première pétrolière au monde, Aramco, il est l’un des six grands partenaires de la Formule 1. Et voilà qu’au golf, il soutient financièrement et entièrement la nouvelle ligue LIV.
Enjeux dorés
Compte tenu des enjeux politiques, sociaux et légaux, pour ne nommer que ceux-là, et des rapports accablants visant l’Arabie saoudite, les experts croient que le pays applique la théorie du blanchiment par le sport, qu’on appelle sportwashing.
En inondant d’argent le marché sportif, le Fonds public d’investissement d’Arabie saoudite cherche à redorer son image. Une image ternie par des droits de la personne bafoués, la guerre au Yémen et l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi. Entre autres.
L’Allemagne nazie avait emprunté la même stratégie en accueillant les Jeux olympiques de 1936. La Russie aussi en 2014 lors des Jeux de Sotchi et en 2018 lors de la Coupe du monde de soccer. Et la Chine a fait pareil lors des Jeux à Pékin l’hiver dernier. Un point commun regroupe ces hôtes d’événements sportifs planétaires : le totalitarisme.
La nouvelle ligue dissidente ne fait donc pas l’unanimité pour l’ensemble de ces raisons. Difficile de se préoccuper de la balle.
Accusés d’empocher de l’argent sale, les golfeurs sont sous le feu des critiques et des attaques des partisans, tant sur les parcours qu’en ligne. L’un d’eux, Graeme McDowell, a notamment reçu de sérieuses menaces.
Ceux qui ont fait le choix de déserter les circuits de la PGA et du DP World Tour (circuit européen) en sont bannis… pour l’instant. Des enquêtes judiciaires sont d’ailleurs en branle aux États-Unis afin de savoir si le PGA Tour respecte les lois antitrust.
Un loup affamé est véritablement entré dans la bergerie. Rien n’indique qu’il est près d’en sortir. En fait, il adapte ses stratégies et ses attaques.