Militant, médecin, écrivain, chercheur, fondateur du Parti communiste algérien (PCA) et acteur de l’indépendance, Saddek Hadjeres, l’une des figures historiques les plus emblématiques de la gauche algérienne, s’est éteint ce 3 novembre 2022 en France, à l’âge de 94 ans. Il avait quitté l’Algérie aux débuts des années 1990 et vivait entre la Grèce, patrie de sa femme, la France et l’Algérie.
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Né le 13 septembre 1928 à Larbaa Nath Irathen, en Haute Kabylie, ce fils d’instituteurs a entamé son parcours scolaire à l’école primaire de Berrouaghia, à 88 km au sud-ouest d’Alger, avant de poursuivre des études secondaires à Médéa, Blida et Alger. En 1946, il commence des études de médecine, puis exerce comme médecin à El-Harrach (ex-Maison carrée), un quartier d’Alger. À partir de 1955, il sera également chercheur en sciences médicales à la Faculté d’Alger.
Militant dès 1943
Le jeune Saddek débute son parcours militant en 1943 au sein des Scouts musulmans algériens (SMA), avant d’adhérer au Parti du peuple algérien (PPA) une année plus tard. En 1949, il est l’un des rédacteurs du fameux document L’Algérie vivra, qui défend une conception pluraliste de la nation algérienne, déclenchant ce qu’on appellera la « crise berbériste » au sein du PPA. Saddek milite aussi au sein de l’Association des étudiants musulmans de l’Afrique du Nord, dont il prendra la présidence en 1950.
À partir de 1952, Saddek Hadjeres est membre du Conseil consultatif du PCA et dirige la revue Progrès entre 1953 et 1954. En 1955, membre de l’organisation armée « Combattants de la liberté », il est condamné par contumace aux travaux forcés par un tribunal français. En 1956, c’est avec son camarade Bachir Hadj Ali qu’il négocie l’intégration des troupes communistes dans les rangs du Front de libération nationale (FLN). Saddek poursuivra la lutte jusqu’à l’indépendance, en juillet 1962.
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Ahmed Ben Bella, le premier président de l’Algérie indépendante, interdit le PCA dès son accession au pouvoir, ce qui obligera Saddek Hadjeres à entrer dans la clandestinité. En 1965, il rejoint l’Organisation de résistance populaire (ORP), créée par Mohamed Harbi et Hocine Zehouane, deux dirigeants du FLN devenus opposants au régime du colonel Boumédiène après le coup d’État de ce dernier contre Ben Bella. L’année suivante, avec d’autres camarades, il participe à la fondation du Parti pour l’avant-garde socialiste (PAGS), qui ne cessera définitivement ses activités qu’en 1992, au moment où le terrorisme islamiste commence à faucher des vies par milliers.
Une carrière de professeur à Paris
Saddek Hadjeres quitte alors l’Algérie pour la France et entame une carrière de professeur associé et de chercheur en géopolitique au Centre de recherches et d’analyses politiques (CRAG) de l’Université-Paris-VIII. Il se consacre également à l’écriture de ses Mémoires, publiés en trois tomes, tout en continuant de témoigner, de débattre et de livrer des analyses liées à l’histoire du mouvement national et social sur son site Social Algérie.
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« Un survivant de l’obscur : 30 ans de clandestinité au nom d’un idéal toujours flamboyant », dit de lui sa nièce, la journaliste Yasmina Chouaki, qui l’a longuement côtoyé et qui voyait en lui le « Potomitan de sa famille politique. Il était d’une liberté, d’une ouverture et d’une curiosité d’esprit exceptionnelles. C’est quelqu’un qui avait toujours 18 ans dans sa tête. Il accueillait tout avec une fraîcheur et une modernité de regard tout aussi exceptionnelles. »
C’est dans les années 1980 que Saddek Hadjeres rencontre celle qui deviendra sa femme, Aliki Papadomichelaki, économiste à Sonatrach et membre du PAGS. Elle témoigne : « À partir de 1985, nous avons uni nos vies. Nous avons entamé un voyage commun, aussi bien pour nous deux que pour les peuples grec et algérien. Il était non seulement un mari attentionné, mais aussi une personnalité d’une grande profondeur comme très peu de gens que j’ai eu à connaître. La première chose que je retiens de lui est son esprit profondément démocratique, ce qui est très rare à notre époque. »
« Humble et constamment à l’écoute des autres »
Elle poursuit : « Il était humble, pas du tout prétentieux, il était constamment à l’écoute des autres. Cela m’a beaucoup séduite car on trouve rarement des dirigeants politiques animés d’une telle ouverture d’esprit. Je retiens de lui également son intelligence. C’était un intellectuel qui écrivait des livres et ne se contentait pas du travail politique proprement dit, car il était inquiet pour l’avenir non seulement de l’Algérie mais de toute la planète sur les plans économique, politique et social, et même écologique. »
Aliki Papadomichelaki précise que la dépouille de son défunt mari sera rapatriée incessamment pour être inhumée au cimetière de Sidi Tayeb d’El-Harrach, ce quartier populaire où il a exercé en tant que médecin pendant des années, au plus près de ce peuple pour lequel il a tout donné.