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Une foule s’est rassemblée devant l’ancien palais de justice de Fort-de-France (Martinique). Ce 11 octobre 2021, l’Etat français est sur le banc des accusés. Une cinquantaine de descendants d’esclaves et deux associations – le Mouvement international pour les réparations (MIR) et le Conseil mondial de la diaspora panafricaine (CMDPA) – lui réclament la création d’un fonds de 200 milliards d’euros au titre de dédommagements pour les crimes contre l’humanité commis pendant la traite négrière et l’esclavage. Déboutés en première instance, les demandeurs ont fait appel. Leur action sera finalement jugée prescrite, mais le débat sur les réparations n’est pas refermé pour autant.
Présentes à Fort-de-France pour le procès en appel, les journalistes Iris Ouedraogo et Adélie Pojzman-Pontay consacrent au sujet un podcast en sept épisodes produit par Paradiso Média et diffusé sur toutes les plateformes d’écoute depuis le 19 octobre. L’idée du projet s’enracine dans les mobilisations qui ont suivi la mort de l’Afro-Américain George Floyd, étouffé sous le genou d’un policier à Minneapolis en mai 2020. Intitulé « Réparations », il accorde une grande place à l’histoire et à la parole militante.
Récits de lutte
Trois récits de lutte le traversent. Celui de Solitude, d’abord, une métisse de Guadeloupe qui s’est révoltée, au côté de Louis Delgrès, contre le rétablissement de l’esclavage par Napoléon Bonaparte en 1802. Enceinte lorsqu’elle est arrêtée par l’armée, la jeune femme sera exécutée six mois plus tard, au lendemain de son accouchement.
Cent-vingt ans avant elle, deux religieux de l’ordre des Capucins, Francisco José de Jaca et Epiphane de Moirans, ont posé les bases du discours abolitionniste. Le premier est espagnol, installé à Caracas, le second français, en mission en Martinique. Envoyés dans les plantations, l’un et l’autre dénoncent en 1682 le traitement qu’on y inflige aux esclaves. Enfermés ensemble à La Havane puis renvoyés en Europe, les deux hommes en appellent au pape pour faire reconnaître le caractère immoral et illégal de l’esclavage.
Leur combat trouvera des échos dans celui d’Ottobah Cugoano, originaire de l’actuel Ghana, capturé à l’âge de 13 ans puis déporté sur l’île de Grenade, dans les Caraïbes, avant d’être envoyé en Angleterre par son propriétaire. Devenu domestique pour un couple d’artistes, le jeune homme apprend à lire et à écrire. Il deviendra l’un des premiers auteurs africains publiés en Europe et fondera, en 1787, Sons of Africa, une organisation qui milite pour imposer la cause des esclaves dans le débat politique et exiger l’abolition de l’esclavage et le versement de réparations. C’est en partie grâce à leur travail que le Royaume-Uni abandonne la traite en 1807. L’esclavage, lui, sera aboli en 1833.
Sortir de l’oubli
Il faudra attendre quinze ans de plus pour que la même décision soit prise en France. Mais l’abolition est une occasion manquée, soulignent les autrices du podcast. L’Etat français verse des compensations aux propriétaires d’esclaves (qui ne sont pas tous des colons blancs) : 10 000 hommes et femmes qui reçoivent, à partir de 1849, des indemnités de 126 millions de francs or (1,3 % du revenu national, soit l’équivalent de 27 milliards d’euros d’aujourd’hui). Les personnes réduites en esclavage et leurs descendants, eux, n’ont rien.
Sortir de l’oubli et du tabou est une première forme de réparation. Le quatrième épisode du podcast revient ainsi sur la marche silencieuse du 23 mai 1998 qui rassemble dans les rues de Paris environ 30 000 personnes pour sommer l’Etat de « retrouver la mémoire ». Cette mobilisation aboutira au vote de la loi du 21 mai 2001, dite « Taubira », reconnaissant l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. Un texte qui ne tranche pas la question des réparations.
Mais les militants ne désarment pas. En Martinique et en Guadeloupe, la France est visée par une série de plaintes pour son rôle dans la traite négrière et l’esclavage. « Aux Etats-Unis, il y a des premières formes de réparations qui ont été mises en place. Et on voit que le sujet émerge pour les autochtones au Canada ou les harkis en France », se félicite Iris Ouedraogo.