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Alors que les combats entre rebelles tigréens et forces loyales redoublent d’intensité dans la ville de Shire, dans le nord de l’Éthiopie, les acteurs de la communauté internationale ont unanimement condamné les violences. Au-delà des indignations, ces diplomaties sont-elles encore capables de faire taire les armes après deux ans de conflit ? Certains l’affirment.
Le bilan des victimes de la guerre au Tigré est inconnu. À l’ombre des médias, les combats font pourtant rage dans cette région du nord de l’Éthiopie où les journalistes ne sont pas les bienvenus. Après cinq mois de trêve laissant entrevoir des espoirs de négociations, le conflit qui oppose depuis novembre 2020 le gouvernement fédéral éthiopien aux autorités rebelles du Tigré, a repris le 24 août, éloignant un peu plus les espoirs de paix dans la région. Seule certitude : les violences ont fait des milliers de morts, des millions de déplacés et plongé le nord du pays dans la famine et le chaos.
Des voix s’élèvent régulièrement pour appeler à la fin du conflit. La communauté internationale s’est notamment alarmée ce week-end de la situation à Shire, ville du Tigré qui comptait environ 100 000 habitants avant la guerre, et qui est en proie – disait-on dimanche – à d’intenses combats.
Le « cauchemar »
C’est l’Union africaine qui s’en est émue en premier. Dès dimanche, le président de la Commission de l’UA, le tchadien Moussa Faki Mahamat, a appelé à « un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel », se disant « gravement inquiet des informations sur l’intensification des combats ». Lui emboîtant le pas, le secrétaire général de l’ONU a lui aussi réclamé lundi « le retrait immédiat et le désengagement d’Éthiopie des forces armées érythréennes », qui épaulent les troupes fédérales éthiopiennes au Tigré. Il a demandé à « toutes les parties » de permettre le passage de l’aide humanitaire, dont l’ONU a suspendu l’acheminement depuis la reprise des combats fin août. « La situation en Éthiopie devient incontrôlable, a poursuivi le chef de l’ONU. La violence et la destruction atteignent des niveaux alarmants », soulignant le « prix terrible payé par les civils » et le « cauchemar » vécu par la population éthiopienne.
Des appels à la trêve de Washington et de l’Union européenne (UE) ont rapidement suivi. « Nous restons profondément inquiets à cause des informations faisant état d’une hausse de la violence, de pertes de vies humaines et d’attaques aveugles dirigées contre les civils » a plaidé lundi, Vedant Patel, le porte-parole du Département d’État américain. Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a pour sa part déploré « l’escalade dramatique de la violence et les pertes irréparables en vies humaines ».
Ces appels à l’arrêt des combats n’ont été suivis d’aucun effet. Mardi 18 octobre, un communiqué émanant du commandement des forces rebelles a indiqué que l’armée fédérale éthiopienne avait finalement « pris le contrôle des villes de Shire, d’Alamata et de Korem sans combats urbains ».
« À problème africain, solution africaine »
Est-ce à dire que les acteurs de la communauté internationale sont impuissants face au conflit ? « Non, balaye d’un revers Patrick Ferras, docteur en géopolitique de la Corne africaine et président de l’association Stratégies africaines. Les États-Unis font indirectement pression sur l’Éthiopie par le biais de sanctions économiques via le FMI et les banques mondiales depuis deux ans. Mais ce n’est pas suffisant pour mettre un terme au conflit. Il faut avant tout une réelle volonté politique avec des moyens. Et les moyens existent. »
Pour ce fin connaisseur de la Corne de l’Afrique, c’est avant tout à l’Union africaine d’agir. « À problème africain, solution africaine. Jusque-là, l’organisation s’est montrée inefficace. Il lui a fallu un an pour désigner un émissaire qui ne va probablement rien changer à l’issue des hostilités. Sur le papier pourtant, l’UA a la possibilité d’agir. La première chose à faire est de faire sortir l’Érythrée du conflit en déployant une force de paix à la frontière entre les deux pays. Les Tigréens n’auront plus qu’un seul ennemi, il leur sera ainsi plus facile de négocier sans se sentir pris en étau de toutes parts. » D’autant que sur le terrain, « Abiy Ahmed a peu à peu laissé à l’Érythrée le leadership dans le conflit, ajoute Éloi Ficquet, enseignant-chercheur à l’Ehess, (École des hautes études en sciences sociale). La guerre a clairement basculé dans un affrontement entre Tigréens et Érythréens. »
D’après les observateurs, les solutions à la guerre sont aussi entre les mains de l’Union européenne. « L’Union africaine est financée à 35 % par les États africains et à 65 % par des partenaires extérieurs dont l’Union européenne fait partie, souligne Patrick Ferras. L’UE peut peser dans le conflit en menaçant, par exemple, de couper son soutien financier à l’Union africaine si cette dernière ne déploie pas de force sur le terrain. »
« Une grave erreur »
Mais l’Europe, « accaparée par la guerre en Ukraine et ses problèmes d’énergie, n’est guère mobilisée par le conflit éthiopien, poursuit le chercheur. Dans son discours aux ambassadeurs, Emmanuel Macron n’a évoqué l’Ethiopie qu’à la toute fin de son propos pour dire qu’il y voyait un pays d’avenir, sans aborder la guerre qui s’y joue ».
Il faut dire que la très faible présence de médias dans la région n’encourage pas les Occidentaux à se pencher sur le sort des Éthiopiens. « L’absence de journalistes ne permet pas d’avérer des faits, ce qui crée un brouillage de l’information sans cesse remise en cause par les deux parties du conflit, poursuit de son côté Éloi Ficquet. C’est une guerre sans image, comme il en existe d’autres au Yémen, par exemple. Tous ces facteurs ne permettent pas de créer de mobilisation publique ».
Ce désintérêt constitue pourtant « une grave erreur, estime Patrick Ferras. Les capitales disposent tout de même de rapports pour évaluer précisément la situation. Dans quelques années, quand on jugera les atrocités commises, les Africains reprocheront sûrement aux Européens et aux Français d’avoir laissé faire. Et ils auront raison. »
Quant aux Nations unies, elles semblent, elles, bel et bien dans l’incapacité d’agir. Tant que la Chine et la Russie, – membres permanents du Conseil de sécurité avec les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, – s’opposeront aux résolutions visant à intervenir dans le conflit, l’organisation n’aura pas les coudées franches pour intervenir.
Dialogue ?
De son côté, l’Union africaine, jusque-là réticente à toute intervention militaire dans le conflit, table davantage sur un dialogue des deux parties. Officiellement, les deux belligérants se montrent d’ailleurs ouverts à des discussions. Le gouvernement a rappelé, lundi, qu’il était prêt à des pourparlers… Tout en affirmant vouloir poursuivre ses opérations militaires visant à reprendre « le contrôle immédiat de tous les aéroports, autres infrastructures fédérales et installations » au Tigré. Une condition qui a si tôt fait réagir les opposants. « C’est une indication claire que le gouvernement et son allié feront tout pour mener à bien leur intention génocidaire contre le peuple du Tigré », a rétorqué à l’AFP Getachew Reda, porte-parole des autorités rebelles du Tigré.
« Les deux ennemis sont à l’exact opposé, assène Patrick Ferras. Chacun espère une victoire militaire pour négocier à son avantage. La volonté d’en découdre sur le terrain reste très forte ». Une réalité brutale bien éloignée des « rodomontades humanistes qui traduisent surtout la volonté des diplomaties internationales d’attendre que ce conflit, très complexe qui semble inextricable, se termine par la désignation d’un vainqueur », ajoute Éloi Ficquet.