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Bobby Kolade a un slogan : « Return to the sender » – en français, « retour à l’envoyeur ». C’est aussi le nom de sa première ligne de vêtements, commercialisée au printemps dernier. Avec sa marque Buzigahill, nommée d’après une colline de Kampala, le jeune designer s’est donné pour mission de récupérer, redessiner, recouper et surtout revendre au prix fort les vêtements de seconde main jetés par les consommateurs occidentaux et qui échouent en Afrique subsaharienne, où ils s’amoncellent sur les étals des marchés ou dans des décharges à ciel ouvert. Une pratique connue sous le nom d’« upcycling », qu’on pourrait traduire grossièrement par « recyclage par le haut », et qui consiste à créer à partir de pièces recyclées un produit de plus grande qualité que le matériau d’origine.
Visuellement, le pari est réussi : les 250 pièces de la collection, toutes uniques par définition, juxtaposent les motifs et les textures mais gardent des coupes sobres bien dans l’air du temps – elles sont d’ailleurs presque toutes unisexe. Comptez tout de même autour de 400 euros pour un sweat-shirt à capuche, 375 euros pour un jean et plus de 200 euros pour un tee-shirt… Une somme hors de portée de la plupart des bourses en Ouganda, où le salaire moyen est évalué à une cinquantaine d’euros. Bobby Kolade en a bien conscience :
« Nous avons quelques clients ici à Kampala, mais pour l’instant nous ne ciblons pas le marché ougandais. Ce n’est pas pour rien qu’on parle de “retour à l’envoyeur” : on cherche avant tout à vendre nos vêtements dans les pays du Nord. »
La production de coton s’est effondrée
Car derrière le projet artistique, Buzigahill est avant tout une démarche engagée. La production de coton s’est effondrée en Ouganda depuis les années 1970, celles de la dictature d’Idi Amin Dada, au point que le pays exporte aujourd’hui la quasi-totalité de sa matière première. Bobby Kolade raconte en avoir fait le triste constat en 2018, lorsqu’il est revenu au pays après avoir fait la première partie de sa carrière en Europe, chez Maison Margiela et Balenciaga. « Notre industrie textile est dans un état lamentable et son déclin continue, soupire-t-il. Il ne reste que deux usines dans tout le pays. » Le marché local est asphyxié par l’afflux continu de vêtements d’occasion issus des bennes occidentales.
« Ces fripes sont si bon marché que la production locale n’a aucune chance de les concurrencer, en conséquence de quoi nous ne produisons pas assez de textiles pour habiller notre propre population. »
Un phénomène qu’on retrouve au Kenya, au Ghana, en Centrafrique et jusqu’en Afrique du Sud, où le commerce de vêtements de seconde main est pourtant illégal. Une séquelle du colonialisme, selon Bobby Kolade :
« Si on prend d’une part l’introduction du coton comme culture de rente en Ouganda par la Compagnie britannique impériale d’Afrique de l’Est au siècle dernier, et d’autre part le flot constant de vêtements d’occasion qui nous arrivent aujourd’hui du Royaume-Uni, on peut dire que le colonialisme n’a jamais vraiment pris fin. Il a changé de forme depuis l’indépendance [en 1962], à travers les échanges commerciaux ou la charité, mais nous nous trouvons toujours prisonniers d’un système colonial. Les matières premières sont encore extraites et exportées depuis les pays africains et c’est à nous qu’on revend les déchets de l’Occident. »
Une deuxième ligne plus accessible
Malgré le titre provocateur de sa première collection, Buzigahill n’est pas qu’un pied de nez aux injustices de la mode mondialisée. Bobby Kolade ambitionne de surfer sur ce premier succès dans le haut-de-gamme pour financer ses projets sociaux et développer son ONG, Aiduke Clothing Research, destinée à aider les autres créateurs ougandais à toucher un public international. Son équipe actuelle fonctionne avec treize employés, dont onze locaux, mais le designeur voit grand :
« D’ici cinq ans, Buzigahill et Aiduke travailleront de concert pour développer toute une chaîne de valeur et nous aurons créé un millier d’emplois. »
Une deuxième ligne, plus accessible et à destination cette fois du marché local, est déjà en préparation. « C’est important pour nous de voir des Ougandais porter des vêtements fabriqués en Ouganda par des Ougandais », martèle Bobby Kolade, qui affirme vouloir inscrire sa démarche dans une transformation structurelle de l’économie :
« Tant de choses doivent encore changer avant que l’Ouganda rouvre des usines textiles et produise ses propres vêtements à partir de ses matières premières. De notre côté, il faudra soutenir l’industrialisation du secteur par des investissements massifs et en fournissant les infrastructures nécessaires. Mais il faudra aussi que l’Occident tire un trait sur sa propre addiction à la “fast fashion”. »