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La cheffe du gouvernement Élisabeth Borne et une importante délégation de 16 ministres se rendent en Algérie dimanche et lundi pour une visite consensuelle axée sur l’économie et le rapprochement avec la société civile. Le déplacement doit permettre de sceller la réconciliation franco-algérienne amorcée avec la visite du président Macron fin août.
Des sujets qui fâchent entre la France et l’Algérie, il n’en sera pas question. La jeunesse et la coopération économique seront officiellement les seuls sujets au menu de la visite de la Première ministre Élisabeth Borne qui débute dimanche 9 octobre à Alger.
Loin d’être une simple visite de courtoisie, ce premier déplacement à l’étranger de la cheffe du gouvernement a pour ambition de concrétiser la « Déclaration d’Alger pour un partenariat renouvelé », signée fin août par les présidents français Emmanuel Macron et algérien Abdelmadjid Tebboune.
Accompagnée d’une délégation XXL de 16 ministres, la Première ministre souhaite envoyer un message clair au partenaire algérien après des mois de brouille diplomatique. « On est dans la suite logique de la visite d’Emmanuel Macron », explique Pierre Vermeren, spécialiste du Maghreb et auteur d’Histoire de l’Algérie contemporaine (Ed.Nouveau monde). « Il s’agit maintenant de passer des déclarations à la mise en pratique » du « nouvel élan » souhaité par Paris et Alger.
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Catherine Colonna, la ministre des Affaires étrangères, Bruno Le Maire pour l’Économie, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur ou encore Agnès Pannier-Runacher en charge de la Transition énergétique feront partie du voyage. Par ailleurs, une dizaine d’entreprises, dont le géant pharmaceutique Sanofi, font le déplacement.
Des entreprises françaises en perte de vitesse
Le moment fort de cette visite sera sans aucun doute la cinquième session du Comité intergouvernemental de haut niveau (CIHN), un mini-sommet entre les ministres français et algériens qui n’avait plus eu lieu depuis 2017, en raison des relations tendues entre les deux pays et de la pandémie de Covid-19.
À cette occasion, la France et l’Algérie devraient signer des accords dans les champs de la formation, de la transition énergétique, de la coopération économique, de la jeunesse et de l’éducation, mais aussi sur des projets plus régaliens.
Le lendemain, la Première ministre est attendue au forum économique algéro-français, un événement censé encourager les partenariats dans le milieu des affaires.
« Il y a eu un mouvement de désinvestissement des entreprises françaises en Algérie. Aujourd’hui, on sort de cette phase et il y a une véritable volonté de réenclencher une dynamique », affirme Alexandre Kateb, consultant et fondateur de The Multipolarity Report. « La relation a changé. L’Algérie s’est tournée vers d’autres partenaires comme l’Italie et la Turquie, sans parler de la Chine. C’est donc aux entreprises françaises de faire la preuve qu’elles apportent de la valeur », ajoute le spécialiste des économies émergentes.
Pas de discussions sur le gaz algérien
Passage obligé pour les officiels en visite à Alger, Élisabeth Borne déposera une gerbe au Monument des martyrs, haut-lieu de la mémoire de la guerre d’indépendance.
Le sujet sensible de la colonisation sera toutefois laissé de côté. La commission d’historiens algériens et français qui doit être installée pour examiner « sans tabou » les archives des deux pays, « est encore en cours de constitution », selon Matignon.
« C’est un terrain décrispé dans la mesure où les politiques se sont en quelque sorte déchargés sur les historiens. Néanmoins, cela risque d’être difficile d’avancer sur les objectifs qui ont été fixés car les archives algériennes ne sont pas accessibles », note Pierre Vermeren.
La question d’une augmentation des livraisons de gaz algérien à la France ne sera pas non plus « à l’ordre du jour » alors que la guerre énergétique livrée par Moscou aux Européens fait rage.
Des discussions sont actuellement en cours entre Engie et le groupe pétro-gazier algérien Sonatrach pour accroître de 50 % à moyen terme les livraisons à la France de gaz et de GNL (gaz liquéfié algérien). La part de l’Algérie représente entre 8 % et 9 % des fournitures de gaz à la France.
Crispation sur les visas
Sur le papier, c’est donc une visite sans anicroche célébrant l’amitié franco-algérienne qui s’annonce pour la Première ministre. En réalité, ce déplacement s’effectue dans « un contexte de tensions », assure Pierre Vermeren. « Il y a une volonté de pacification des relations côté français mais il reste énormément de sujets d’irritation que l’on met plus ou moins sous le tapis ».
À commencer par la question des visas qui empoisonne la relation bilatérale. Mécontente que l’Algérie traîne des pieds à reprendre ses ressortissants expulsés, la France a divisé par deux le nombre de visas accordés aux Algériens.
Une situation particulièrement mal vécue par la population car « le visa a une valeur politique considérable en Algérie, c’est une espèce de soupape à une société qui va mal”, explique à l’AFP l’ancien ambassadeur à Alger, Xavier Driencourt.
« C’est un dossier prioritaire et un sujet de mécontentement pour Paris. La France a pensé faire un effort en augmentant le nombre de visas accordés notamment aux étudiants. Mais en retour, il n’y a pas eu de renvoi d’ascenseur sur les OQTF (« Obligation de quitter le territoire ») », assure Pierre Vermeren. « Alger continue à faire la sourde oreille ».
Les présidents des deux pays avaient ouvert la voie fin août à un assouplissement du régime de visas accordés à l’Algérie, pour les étudiants, entrepreneurs, scientifiques, sportifs ou artistes, en échange d’une coopération accrue d’Alger dans la lutte contre l’immigration illégale. Mais « les discussions n’ont pas encore abouti », a sobrement commenté Matignon.