Jusqu’au bout, ils auront tout tenté. En vain. Ce 16 septembre, après des mois de lutte et de mobilisation, TF1, M6, et leurs maisons-mères, Bouygues et Bertelsmann ont jeté l’éponge, et abandonné leur projet de fusion. Motif invoqué après ces mois de mobilisation et de lutte : l’opération, à force de concessions et de conciliabules, « ne présentait plus aucune logique industrielle. »
« Plus aucune logique industrielle ».
La logique industrielle. Justement le cœur de ce projet initié au printemps 2021. Des mois durant, Nicolas de Tavernost, président de M6, pressenti pour diriger le futur ensemble, et Gilles Pélisson, fidèle lieutenant Bouygues aux commandes de TF1, ces ennemis d’hier ont entonné en chœur la même chanson : face aux Gafa, la vieille télé de papa n’a plus aucune chance de survie. La fameuse « durée d’écoute individuelle » (DEI), boussole des annonceurs, ne cesse de perdre du terrain. Les deux premières chaines tricolores devaient unir leurs forces pour investir davantage, dans les contenus, dans le digital… Ils caressaient même le rêve fou de faire de Salto, leur plateforme commune avec France Télévisions aux performances plutôt laborieuses, une arme capable de lutter contre les géants. Tout en étant conscient que même mariés, le duo restait un nain au niveau mondial. Les noces célébrées, Nul doute que Martin Bouygues préparait déjà le coup d’après, sur le terrain de chasse européen…
Pour imposer leur logique industrielle, le duo a tout essayé pour convaincre l’Autorité de la concurrence (ADLC). Après un premier rapport défavorable au cœur de l’été, il a multiplié les gestes. Lâchant les chaînes TFX et 6ter, promises à AlticeMedia, autre ennemi d’un autre temps, pour se conformer à la loi. Faisant des concessions inédites sur les achats de droits et les contrats de distribution à venir… Allant même jusqu’à lâcher l’impensable autour de leurs régies publicitaires – « le vrai nœud » pour l’Autorité, confiait à Challenges, l’un des fiancés, début septembre.
Lâcher l’impensable.
Alors que l’ADLC refusait d’élargir au digital l’assiette des recettes publicitaires, et que les annonceurs ne cessaient de seriner leur hantise d’une flambée des tarifs avec ce futur géant captant 70% du marché publicitaire, TF1 et M6 sont allés jusqu’à proposer de garder deux régies séparées. Y compris au niveau des gouvernances, et sans aucun couplage publicitaire, durant trois ans, renouvelables. « On s’est coupé un doigt pour ne pas perdre un bras », confiait ce même interlocuteur.
Las ! Les deux auditions début septembre devant l’Autorité n’ont pas suffi à convaincre. Les détracteurs de la fusion, nombreux, étaient sur le pied de guerre. Les annonceurs bien sûr. Mais aussi Xavier Niel, prétendant éconduit au rachat de M6 l’an dernier; Canal+, autre adversaire acharné ; NRJ ou encore l’Union des Marques… Des mois durant ils ont pilonné le projet sans relâche, devant le Sénat, dans les médias, en coulisses… Avec efficacité et brio. Ce 15 septembre, actant le retrait du projet, l’ADLC a jugé que « l’opération aurait pu engendrer des risques concurrentiels majeurs notamment sur les marchés de la publicité télévisuelle et de la distribution de services de télévision. »
Le plan B de TF1
Et maintenant ? Face aux dernières exigences de l’Autorité – la vente de TF1 ou de M6 – les fiancés ont rompu eux-mêmes leur engagement. Manière aussi d’éviter d’avoir à se verser des indemnités pour rupture de négociations… Les adversaires de la première heure guettent sans doute un deuxième round, une deuxième chance de faire partie de la fête. TF1 aurait un plan B, comme l’affirmait Gilles Pélisson lors des semestriels du groupe : « Si par malheur cette fusion ne se fait pas, on poursuivra notre route. Nous avons un plan, une alternative qui est mineure, qui deviendra majeure s’il le faut. » Et Bertelsmann, bien décidé à être l’artisan d’une consolidation européenne, n’a plus que quelques pour mois pour en trouver un, avant le renouvellement des autorisations de M6 au printemps.
L’ennemi reste aux portes.
Pendant ce temps, les plateformes de streaming, Netflix et consorts, poursuivent aussi « leur route ». Grignotent toujours plus les audiences. Et les recettes publicitaires. En juillet, aux Etats-Unis, une étude Nielsen révélait que les audiences des télés traditionnelles venaient d’être dépassées par celle des plateformes. Une première. Et l’ennemi est aux portes : selon la presse américaine, Netflix sonde déjà les plus gros annonceurs mondiaux pour lancer début novembre dans plusieurs pays – dont la France ! – son offre avec réclame. Disney, Apple… tous affûtent leurs armes. Nicolas de Tavernost le martelait encore fin août, dans les colonnes de Télérama, « le jour où il y aura un monopole Google ou TikTok, personne ne discutera les prix ». Aujourd’hui, ce jour est peut-être plus proche que tous les acteurs – et détracteurs – ne l’imaginaient.