Le scénario catastrophique pour les automobilistes que le ministère des Transports du Québec voulait à tout prix éviter pour la réfection du tunnel Louis-Hyppolite-La Fontaine se concrétisera. Un des deux tubes de circulation sera complètement fermé jusqu’en 2025.
« Rénover une vieille infrastructure routière, c’est un peu comme rénover une vieille maison. Parfois, on a de très mauvaises surprises, et c’est le cas ici », a résumé hier le ministre des Transports François Bonnardel dans un communiqué.
Il s’est présenté devant les journalistes hier pour annoncer une bien mauvaise nouvelle : « Il y a 60 % de dégradation de plus que prévu à la voûte du tunnel », a-t-il dit, en ajoutant que les coûts du chantier explosent de 900 millions. Cette somme colossale s’ajoute aux 1,4 milliard que le MTQ prévoyait récemment dépenser sur le projet.
Les travaux annoncés hier consistent notamment à refaire des dalles de béton, le réaménagement des couloirs de service ainsi que l’ajout d’une protection contre l’incendie.
Trois voies sur six seront fermées de novembre 2022 à novembre 2025. Deux voies se dirigeant vers Montréal resteront ouvertes alors qu’une seule mènera vers la Rive-Sud.
« Ça va être débile »
« Je ne peux même pas imaginer à quel point ça va être débile », commente Patrick Benoît, chroniqueur circulation à l’émission Salut Bonjour, qui insiste sur l’importance de ce lien pour la mobilité dans la métropole.
Environ 120 000 véhicules y circulent quotidiennement. Le tunnel est également la traversée entre la Rive-Sud et Montréal la plus utilisée pour le transport de marchandises.
Le chantier monstre du tunnel est en planification depuis plus d’une dizaine d’années. Lors de son annonce en 2019, il devait coûter 500 millions et être finalisé en 2024.
Selon nos informations, en 2011, lorsque le ministère penchait pour des scénarios de fermeture pendant le chantier, il avait évalué l’option de fermer complètement l’un des deux tubes de circulation pendant une période prolongée. Cela aurait permis de réduire la durée des travaux.
Toutefois, ce scénario « catastrophe », selon une source bien informée au ministère, avait été écarté en raison des « impacts épouvantables » qu’il aurait sur la circulation routière. Le MTQ avait plutôt choisi de garder deux voies sur trois ouvertes dans chaque direction.
Les nouveaux plans correspondent presque en tout point à ce scénario infernal.
Pas surprenant
Si l’annonce d’hier a l’effet d’une douche froide sur les usagers du tunnel, elle ne surprend pas du tout Richard Shearmur, directeur de l’École d’urbanisme de l’Université McGill.
Les hausses de coûts et les découvertes de nouveaux dommages, « c’est presque systématique sur les grands projets partout dans le monde », indique-t-il, en expliquant que les estimations initiales ont entre autres tendance à être trop optimistes.
Selon lui, cette histoire devrait pousser le ministère à approfondir les inspections régulières de ses infrastructures.
Le pire scénario pour le camionnage
L’industrie du camionnage déjà affectée par la COVID-19, les problèmes d’approvisionnement et la pénurie de personnel fait maintenant face à une tempête parfaite avec la réfection prolongée du tunnel, un axe majeur situé tout près du Port de Montréal.
Olivier Bourque, Le Journal de Montréal
« Je ne crois pas qu’on pourrait avoir un pire scénario. On parle de fortes contraintes qui vont augmenter encore plus nos frais », croit Marc Cadieux, PDG de l’Association du camionnage du Québec (ACQ).
Selon lui, les coûts de transport ont plus que doublé lors des dernières années et la facture sera vraisemblablement refilée aux consommateurs.
« Il faut s’attendre à une forte inflation sur les produits. Seulement dans ce secteur, ça prend deux-trois fois plus de temps pour faire la livraison notamment pour se rendre dans le Port de Montréal », explique M. Cadieux.
« On dit à nos camionneurs d’éviter les périodes de pointe, mais on n’a plus beaucoup de fenêtres de fluidité », se désole-t-il.
100 $ de plus par voyage
Pour le spécialiste du camionnage Benoît Therrien, président de Truck Stop Québec, la hausse des coûts de transport sera substantielle.
« Je pense que les compagnies devront facturer 100 $ de plus par livraison pour les frais d’attente du chauffeur, pour aller en direction de Montréal et direction de la Rive-Sud. Il y aura des kilomètres de bouchons », explique-t-il.
Ce dernier se questionne sur la gestion du chantier par les équipes du ministère des Transports du Québec.
« Je comprends mal qu’on n’ait pas vu venir cela d’avance. Ça fait plusieurs mois qu’on travaille sur le chantier. Est-ce qu’il y a un pilote dans l’avion ? Si ça avait été quelques mois, mais là, c’est trois ans de plus », dit-il.
Pas à Montréal
L’industrie craint que ce bordel décourage de plus en plus les camionneurs à venir dans la Métropole.
« On a vécu l’échangeur Turcot et le pont Champlain, ç’a été un capharnaüm. Viendront aussi d’autres travaux comme la Métropolitaine qui est dans un état de détérioration très avancé. La 30 n’est pas terminée. On veut Montréal comme une ville internationale, on veut être une plaque tournante économique, mais on a beaucoup d’obstacles à surmonter », croit M. Cadieux.