En ces temps troublés, sauver le régime des retraites par répartition devrait être considéré comme une grande cause nationale. Pour des raisons démographiques et parce que la conjoncture s’assombrit, l’équilibre du régime est de nouveau menacé, selon les dernières prévisions du Conseil d’orientation des retraites, qui prévoit un déficit de l’ordre de 12,5 milliards d’euros en 2027 et de 20 milliards à l’horizon 2032.
Personne n’envisageant de remettre en cause les fondements du système, qui repose sur l’étroite solidarité entre actifs et retraités, il semblerait assez logique que tous les acteurs politiques et syndicaux s’impliquent sans arrière-pensée dans une cause qui n’est pas que financière.
Le sujet est éminemment social parce que de fortes inégalités restent à débusquer dans un système qui est encore loin d’être unifié. Il est aussi sociétal, au moment où, à la fois la valeur travail n’a jamais été autant vantée et le rapport au travail aussi questionné. Si, comme la plupart de nos voisins européens, nous sommes voués à travailler plus longtemps parce que l’espérance de vie a augmenté au cours des dernières décennies, alors il faut remettre au premier plan la question du mieux-vivre au travail. Il faut aussi mobiliser les entreprises autour du maintien des seniors, après des années d’usage abusif des préretraites.
Inquiétudes sur un passage en force
Le second quinquennat d’Emmanuel Macron, qui s’était ouvert sur la promesse d’une gouvernance moins verticale, aurait pu être l’occasion d’une nouvelle approche. Or, le chef de l’Etat a délibérément choisi de faire du dossier des retraites une démonstration de force, la preuve qu’il est encore capable de réformer en dépit de l’absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale. Les concessions qu’il a faites, mercredi 28 septembre, à sa propre majorité, inquiète des conséquences d’un passage en force au Parlement dès les prochaines semaines, ne doivent pas masquer le fait qu’il a concédé le minimum.
Le président de la République veut toujours que la réforme entre rapidement en vigueur, dès l’été 2023. Il se dit prêt à une concertation avant Noël mais n’entend pas bouger sur la mesure-phare de son projet présidentiel, qui consiste à allonger de quatre mois chaque année l’âge de départ à la retraite avec 65 ans pour horizon.
Cela revient à assumer une opposition frontale avec les syndicats, tous opposés à cette mesure, à ouvrir la voie à des manifestations de rue dont personne ne sait prédire l’issue, à se couper un peu plus de la gauche pour tenter de rallier une partie de la droite et à prendre à revers la majorité des Français. L’addition est lourde.
Certes, aucune réforme d’envergure des retraites n’a été adoptée sereinement en France. Les points de vue de départ sont trop divergents, notamment avec La France insoumise, qui promet encore le retour à la retraite à 60 ans. Mais, en donnant le sentiment qu’il transforme le dossier des retraites en une démonstration de prépotence présidentielle avec à la clé une menace de dissolution pour faire plier les rétifs, Emmanuel Macron ne fait rien pour décrisper les esprits ni favoriser la coresponsabilité.
Le report de l’âge légal a pour premier effet de pénaliser ceux qui sont entrés tôt sur le marché du travail. Il n’est pas supportable pour ceux qui exercent des métiers pénibles, il est injuste pour ceux, les femmes notamment, qui connaissent des carrières hachées. Peut-on traiter sérieusement en quelques semaines ces cas particuliers ? Les syndicats les mieux disposés, comme la CFDT, ont quelques bonnes raisons de considérer qu’une fois de plus on leur met le couteau sous la gorge.