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Rabat doit-il s’inquiéter des exercices militaires algéro-russes ? – Jeune Afrique

Rabat doit-il s’inquiéter des exercices militaires algéro-russes ? – Jeune Afrique


« Bouclier du désert ». C’est le nom de code donné aux manœuvres militaires conjointes algéro-russes, dans le sud-ouest de l’Algérie, qui ont débuté ce mardi et devraient durer jusqu’au 28 novembre. Ces exercices militaires terrestres rassemblent environ cent soldats algériens et autant d’hommes côté russe – essentiellement des parachutistes –, au terrain d’entraînement de Hammaguir, à Béchar, à moins d’une centaine de kilomètres de la frontière algéro-marocaine, fermée depuis août 2021.

Côté marocain, justement, le politologue Mohamed Chiker, de l’université Hassan II de Casablanca, y voit un clin d’œil – très relatif – à l’opération « Tempête du désert » (nom donné à l’opération militaire menée contre l’Irak en 1990 par une coalition internationale, sous la houlette des États-Unis), et donc une forme de réponse aux manœuvres militaires de l’alliance maroco-américano-israélienne.


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« Ces manœuvres russo-algériennes interviennent quatre mois après la tenue de la 22e édition de l’African Lion, co-organisée par les Forces armées royales marocaines et l’armée américaine dans le sud du Maroc, et à laquelle les Israéliens ont participé pour la première fois », ajoute t-il.

Pour rappel, cette grand-messe militaire annuelle a mobilisé 7 500 soldats, 13 pays, 80 avions de soutien et nécessité un budget de 36 millions de dollars cette année.
A contrario, les manœuvres militaires actuelles de la Russie et de l’Algérie rassemblent 200 soldats en tout et s’apparentent à des exercices de simulation visant à rechercher, détecter et détruire des groupuscules armés en milieu sahélien à l’aide de drones, d’armes légères russes et de blindés algériens.

Une dynamique amorcée dès 2017

Fait notable : l’organisation d’un tel exercice militaire en terre algérienne est une première. Mais elle s’inscrit dans une longue série, inaugurée dès 2017, de manœuvres militaires conjointes visant au renforcement de la coopération militaire entre les deux pays, notamment dans la lutte conjointe contre la menace jihadiste dans le Sahel.

Entre octobre 2021 et octobre 2022, par exemple, les forces armées algériennes ont suivi des formations antiterroristes dans le Caucase du Nord, au Daghestan. Moscou a aussi convié Alger à participer – pour la première fois – au Vostok 2022 (Orient 2022), un gigantesque exercice militaire organisé conjointement par la Chine et la Russie. Les deux pays ont également organisé des manœuvres navales en mer Méditerranée, au large du port d’Alger.


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Plusieurs autres enjeux géopolitiques se superposent. Dans un contexte de « guerre froide » avec son voisin marocain, Alger s’est lancé dans une course aux armements, au point de se hisser – très prochainement – au rang de premier importateur d’armes russes au monde, devant deux mastodontes : l’Inde et la Chine.

En octobre 2021, le Parlement algérien a voté une augmentation du budget défense de 130 %, à 23 milliards de dollars d’ici l’an prochain. Selon la presse algérienne, un contrat de plus de 11 milliards de dollars serait en passe d’être conclu entre Alger et Moscou portant sur l’achat de chasseurs russes Sukhoï Su-75, ce qui représente une manne financière non négligeable pour la Russie, enlisée dans la guerre qu’elle mène contre l’Ukraine depuis février 2022.

Ambitions russes en Méditerranée

Sur le plan diplomatique, Alger et Moscou affichent des relations plus étroites que jamais : en mai 2022, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, était en visite officielle à Alger. Et le président algérien Abdelmadjid Tebboune est attendu à Moscou avant la fin de l’année. Aux Nations unies, l’Algérie se pose comme un soutien de la Russie en s’abstenant de voter les résolutions la condamnant ou bien en s’opposant à sa suspension du Conseil des droits de l’homme, comme cela a été le cas en avril 2022.

Seulement voilà, en coulisses, leurs relations sont sans doute plus complexes qu’il n’y paraît : depuis l’éclatement du conflit russo-ukrainien, l’Algérie – puissance gazière – est très courtisée par l’Union européenne (UE), ce qui la place en position de force. De son côté, la Russie souhaite renforcer son assise en Méditerranée orientale, point névralgique de sa stratégie maritime.

Côté marocain, le gouvernement a certes voté un budget alloué à la défense en hausse pour 2023 (10,53 à 10,9 milliards de dollars), mais qui représente moins de la moitié du budget algérien. La stratégie est de s’appuyer sur son partenaire israélien pour obtenir des armes défensives et offensives moins chères qu’ailleurs et mettre en place une industrie de l’armement sur son propre sol, notamment pour fabriquer des drones.

Par ailleurs, en plus d’avoir conclu un accord de coopération militaire « historique » avec l’État hébreu, « les FAR ont établi une nouvelle zone militaire dans l’est du pays l’été dernier et ont par conséquent grandement augmenté le nombre d’équipements d’alerte et de défense à ses frontières avec l’Algérie », souligne Mohamed Chiker.


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« Voilà pourquoi la tenue de manœuvres militaires russo-algériennes à quelques dizaines de kilomètres de la frontière avec le royaume constitue une forme de message politique envoyé par Alger à Rabat, et ce même si la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, nie toute attaque envers un pays tiers, donc le Maroc », analyse le spécialiste pour JA.

Mohamed Chiker va plus loin en estimant que le royaume a bâti sa stratégie militaire sur l’hypothèse selon laquelle l’Algérie le considère comme un « ennemi majeur ». « Aussi le Maroc mobilise-t-il toutes ses capacités pour faire face à toute menace venant de son voisin de l’Est, d’autant que celui-ci instrumentalise toujours le Front Polisario pour servir ses intérêts et contenir la montée du Maroc en tant que puissance régionale dans la région nord-africaine », affirme t-il.

À l’Ouest, rien de nouveau ?

Abdelhamid Harifi, administrateur du forum FAR-Maroc, ne livre pas la même analyse. « Il faut faire la part des choses entre ce qui relève de la communication, des effets d’annonce et de la réalité, note-t-il. En ce moment même, on parle de 200 soldats, dont une centaine de Russes, qui effectuent un entraînement à l’intérieur des frontières algériennes et dans un pays souverain. Il n’y a aucun message indirect à comprendre », tranche-t-il. D’autant que la Russie – déjà en guerre et affaiblie – entretient des relations stables et cordiales avec le Maroc, et n’aurait donc aucun intérêt à le provoquer, et que le royaume a adopté une position nuancée sur la guerre en Ukraine.


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Quant à l’hypothèse selon laquelle Russes et Algériens pourraient avoir des vues sur la zone sahélienne, Abdelhamid Harifi n’y croit guère : « L’Algérie doit d’abord sécuriser sa propre frontière, et son armée a besoin de travailler sa technique. Quant à la Russie, la présence de Wagner au Mali a été affichée au grand jour… Tout le monde a bien compris que l’intervention d’une puissance étrangère au Sahel était une mauvaise idée. Je pense donc qu’on est dans l’effet d’annonce. »

Un effet d’annonce qui crispe, mais pas forcément au Maroc. « C’est surtout la France qui voit la présence russe d’un très mauvais œil », conclut le chercheur.

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