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« Les méthodes employées par le phytothérapeute, l’imam, le pasteur ne constituent pas une médecine »

« Les méthodes employées par le phytothérapeute, l’imam, le pasteur ne constituent pas une médecine »


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Dans une salle de travail d’une maternité à Kinshasa, en novembre 2022.

Les chiffres donnent le vertige. Malgré des progrès notables, l’Afrique subsaharienne continue d’enregistrer les taux de mortalité infantile, maternelle et néonatale les plus élevés au monde. Un enfant sur huit meurt avant l’âge de 5 ans, soit vingt fois plus que la moyenne dans les régions développées, selon l’ONU. Ils sont emportés par la malnutrition, les infections respiratoires ou encore le paludisme. Le danger plane également sur les mères. 57 % des décès maternels dans le monde surviennent sur le continent. En 2017, 295 000 femmes sont mortes pendant leur grossesse ou leur accouchement, en particulier au Mali, au Niger et en Mauritanie.

Alors que les Etats africains s’étaient engagés en 2001 à consacrer 15 % de leur budget à la santé, vingt ans après, aucun d’entre eux n’a atteint cet objectif. Mais, si le sous-investissement chronique dans le secteur de la santé explique en grande partie cette mortalité, certaines conduites sociales jouent également un rôle selon l’anthropologue français Yannick Jaffré. Le directeur de recherche émérite au CNRS pointe ainsi le danger que représentent les médecines dites traditionnelles. Il y voit une « instrumentalisation politique » qui pèse sur les chances de survie des mères et des enfants.

Face au manque de personnel soignant formé, de structures médicales ou tout simplement de ressources, les malades et leurs familles se tournent généralement vers les médecines alternatives dites traditionnelles. Pourquoi estimez-vous ces pratiques dangereuses pour les mères et les enfants en particulier ?

Dans les cas graves, elles font perdre un temps précieux tout en étant inefficaces. A-t-on déjà vu un tradipraticien guérir un enfant atteint d’un cancer ? Une accoucheuse sauver une femme victime d’une hémorragie de la délivrance ?

Les méthodes employées par le phytothérapeute, l’imam, le pasteur, le devin ne constituent pas une médecine. Ce sont des pratiques populaires de soin. Elles ne sont pas soumises à un corpus d’observation, à la critique ou à l’expérimentation scientifique. Les tradipraticiens ont certes leurs petites recettes mais elles n’ont rien d’ancestral. La tradition d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier. Il y a trente ans, certains d’entre eux assuraient pouvoir soigner le VIH avec des remèdes traditionnels élaborés quinze jours avant !

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Sans oublier que ces « soins » sont coûteux. Les parents d’un enfant qui tousse à cause de la tuberculose ne se rendent à l’hôpital qu’après avoir épuisé leurs ressources auprès d’un guérisseur. Quand le médecin leur demande d’acheter des médicaments, ils n’ont plus d’argent. Cela pèsera sur les chances de survie de l’enfant.

Pourtant, ces pratiques alternatives sont soutenues financièrement par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à travers des programmes, des instituts de recherche et une journée africaine de la médecine traditionnelle. Pourquoi estimez-vous qu’il s’agit d’une « vision idéologique » ?

L’OMS s’appuie sur ces pratiques faute d’alternatives conventionnelles. Cette vision est renforcée par l’instrumentalisation politique de la médecine traditionnelle. Lors de la crise du Covid, au Mali, les dirigeants ont revendiqué l’existence de remèdes locaux, en opposition aux médicaments conventionnels venus de l’étranger. Le discours était : « Nous avons nos propres guérisseurs et traitements, allons dans ce sens. » C’était une revendication politique de pacotille sans contenu scientifique. Les résultats n’ont d’ailleurs pas été probants. A Madagascar, où un remède à base de plantes a été produit, les populations ont subi les conséquences dramatiques du Covid. Mais certains pays, comme le Bénin, se sont opposés à ces traitements locaux.

Voilà l’enjeu mené par mes confrères sur le continent : ils demandent que les Africains aient aussi accès à des hôpitaux. Comme partout dans le monde. Pourquoi, au nom de soi-disant particularités locales, promues par l’OMS, devraient-ils se contenter de cette pseudo-médecine qui peut conduire à des drames ?

Selon l’ONU, 60 % des décès avant 5 ans interviennent dans la première année de vie. Comment les pratiques « traditionnelles » s’imbriquent-elles dans la vie des enfants en bas âge ?

C’est une cohabitation qui débute dès la naissance. Dans plusieurs pays en Afrique de l’Ouest, une fois sorti du ventre de sa mère, le bébé est déposé sur une paillasse pendant dix minutes, le temps que la sage-femme s’occupe de la parturiente. Il est nu, exposé au courant d’air et c’est là un premier risque pour sa santé.

Puis, si l’enfant refuse les premières tétées, il est d’usage de le laisser y revenir plus tard, quand il le souhaite. Sa nutrition est donc négligée. Dans les représentations, un bébé est déjà doté d’une autonomie décisionnelle en naissant. D’ailleurs, autrefois, quand un enfant mourait à la naissance, on disait qu’il avait décidé de rejoindre ses camarades de jeu dans l’au-delà. Les jours suivants, pour le protéger du mauvais œil, le nourrisson est baigné dans des décoctions qu’il va ensuite ingurgiter. C’est un autre risque infectieux.

Episode 8 Au Ghana, la lutte contre la mortalité infantile passe d’abord par le sein

Plus grand, l’enfant peut-être confronté à la déshydratation. Cette pathologie qui se remarque par un affaissement de la fontanelle se nomme « gounandjigui » en bambara, ce qui signifie « la fontanelle qui s’affaisse ». C’est une maladie à part entière pour les populations. Or, le premier réflexe est souvent d’aller chez la guérisseuse qui va étaler un onguent sur la partie affaissée. En cas de persistance, les parents iront à l’hôpital. Si l’enfant meurt, on en déduira que ce n’était pas une maladie de Blanc et que l’hôpital ne pouvait pas le soigner. Or, sans ces longs parcours de soins, l’enfant aurait sans doute pu être sauvé.

Qu’en est-il des mères ? En dehors des causes structurelles liées au manque d’infrastructures et de moyens, quelles sont les autres raisons qui expliquent de cette forte exposition à la mort ?

Elles subissent la règle des « trop ». Une fécondité trop élevée, trop d’enfants, trop tôt, trop tard, trop rapprochés. Elles meurent aussi en couche suite à des hémorragies, des éclampsies (crises convulsives), mais aussi car elles ne sont pas traitées de la même manière en fonction de leur statut.

Lors de travaux menés dans cinq capitales africaines, j’ai passé trois mois dans des salles d’accouchement à observer comment elles mouraient. Elles y subissent trop souvent des violences. On peut voir deux ou trois sages-femmes rassurer une parturiente en plein travail. Et, à côté, des femmes accouchent dans la plus grande solitude, parfois d’un enfant mort-né. La règle dans l’hôpital public africain est celle d’une équité relative, dont souffrent aussi les soignants : tout est fait pour certains et rien pour d’autres.

Pour être accompagnée convenablement dans une maternité, la femme doit être quelqu’un avant le jour J. Les consultations prénatales servent à construire un lien avec les sages-femmes. Lors de ces séances, les futures mères leur offrent 20 000 à 30 000 francs CFA [30 à 45 euros] pour nouer une parenté fictionnelle et commencent à les appeler « tanties ». Cela leur garantit un accouchement privatisé dans une structure publique.

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La femme anonyme, sans argent, qui arrive sans grand boubou, celle qui n’est pas la femme d’un grand fonctionnaire, est souvent hospitalisée en urgence. Elle sera négligée. C’est là que se produisent toutes les dérives. J’ai vu des sages-femmes disputer, frapper des femmes. Pour se justifier, elles expliquent « qu’il faut que les femmes poussent sans se plaindre car la douleur les rend femmes à part entière ».

Ces violences contribuent indéniablement à la mortalité maternelle. Je me souviens du cas d’une femme qui devait subir une césarienne. Comme le gardien qui détenait les clés du local où se trouvaient les bouteilles d’oxygène était à un baptême, la femme n’a pas pu être réoxygéner. Elle s’en est sortie de justesse mais pas son enfant. Aussi, en cas d’hémorragie de la délivrance faute de sang disponible dans la maternité, le mari doit se faire prélever le sien. Le temps qu’il aille dans un service de prélèvement, qu’il revienne, c’est souvent déjà trop tard.

Dans vos travaux, vous pointez le fossé linguistique entre soignants et malades. Pourquoi est-ce un facteur de risque supplémentaire pour les malades déjà fragilisés par les défaillances des systèmes de santé ?

En Afrique, malgré la scolarisation de masse, 50 à 60 % de la population sont analphabètes. A ce tableau, s’ajoute la prégnance des langues nationales dans la vie quotidienne. Or, les professionnels de santé sont formés en français ou en anglais. Le corpus médical, les pathologies ne sont pas traduites dans les langues africaines. Une fois en consultation, la communication avec les patients, dont ils ne parlent pas toujours la langue, est compliquée.

Cela encourage les populations à se tourner vers des médicaments vendus à l’unité dans la rue, moins chers qu’en pharmacie. Il y a aussi cette connivence immédiate qui se noue avec le vendeur ambulant qui parle la langue et comprend la représentation de la pathologie. D’ailleurs, sur certaines boîtes de médicaments illicites, une illustration va démontrer la puissance de guérison du produit. Au Mali, l’antidouleur « laisse le bâton », représente un homme qui marche le dos voûté avec une canne. Après avoir pris le médicament, il se redresse et marche seul. La force d’évocation est absolue pour l’acheteur. Il évite ainsi le dispensaire où le médecin, peu compréhensif, va lui remettre une ordonnance rédigée dans une langue étrangère. C’est aussi ce paysage qui construit la mortalité infantile.

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