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Les exagérations et manipulations de Giorgia Meloni, qui accuse la France d’exploiter certains pays d’Afrique avec le franc CFA

Les exagérations et manipulations de Giorgia Meloni, qui accuse la France d’exploiter certains pays d’Afrique avec le franc CFA


Giorgia Meloni, le 20 janvier 2019, dans l’émission « Non è l’arena », l’un des principaux talk-shows italiens, diffusé sur la chaîne LA7.

A la faveur des tensions franco-italiennes causées par le récent refus de Rome d’accueillir les migrants de l’Ocean-Viking, d’anciens propos de l’actuelle cheffe du gouvernement italien accusant la France de colonialisme refont surface, majoritairement partagés par des réseaux d’extrême droite.

Invitée le 20 janvier 2019 de l’émission « Non è l’arena », un des principaux talk-shows du pays diffusé sur la chaîne italienne LA7, Mme Meloni, qui n’était alors que députée et présidente du parti Fratelli d’Italia, accusait lourdement la France de se servir du franc CFA pour exploiter indûment les ressources des quatorze pays d’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale qui l’utilisent.

L’attaque de Giorgia Meloni n’était d’ailleurs pas isolée, puisque plusieurs cadres du parti Mouvement 5 étoiles (M5S) avaient tenu les mêmes propos le même jour. D’Alessandro Di Battista, qui déchire un faux billet de 10 000 francs CFA sur le plateau de « Che Tempo Che Fa », à Luigi Di Maio, alors président du M5S et vice-président du conseil, qui accuse la France d’appauvrir les pays ayant recours à cette monnaie, l’extrême droite italienne avait ce jour-là choisi de faire du franc CFA un argument central pour attaquer Paris, le lendemain de la disparition de 117 migrants en Méditerranée. Quitte à caricaturer les critiques économiques légitimes de cette monnaie ou à inventer littéralement des faits.

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Le franc CFA, une monnaie coloniale ?

Ce que Giorgia Meloni a dit :

« Le franc CFA est la monnaie coloniale que la France imprime pour quatorze nations d’Afrique. »

C’est plutôt contesté

Le franc CFA (FCFA) est une monnaie utilisée par quatorze pays africains organisés dans deux espaces monétaires différents :

  • L’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine), qui regroupe huit pays d’Afrique de l’Ouest : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo.
  • La CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale), qui regroupe six pays d’Afrique centrale : le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad.

Créé et utilisé officiellement depuis 1945, le franc CFA était en effet initialement une monnaie dite « coloniale » émise par la Banque de France dans un certain nombre de pays du continent africain (CFA signifie d’ailleurs à l’époque « colonies françaises d’Afrique »). Depuis, le franc CFA n’est plus émis par la France mais par les deux banques centrales qui gouvernent la politique monétaire de ces deux zones (l’UEMOA et la CEMAC). Celles-ci sont les seules à décider des montants à émettre et donc de la quantité de billets à mettre en circulation. D’un point de vue légal, les pays membres de ces deux zones monétaires ont d’ailleurs la possibilité d’abandonner le franc CFA pour disposer de leur propre monnaie.

Les deux banques centrales ne sont pas entièrement libres dans leur politique monétaire, car la valeur du FCFA est arrimée à celle de l’euro

Ce qui fait dire à un certain nombre de critiques que le FCFA est la « dernière monnaie coloniale du monde », c’est que ces deux banques centrales ne sont en revanche pas entièrement libres dans leur politique monétaire, car la valeur du FCFA est arrimée à celle de l’euro – ce qui contraint ces deux établissements à suivre la politique de la Banque centrale européenne. Cette dernière exige de limiter la valeur de l’inflation à moins de 2 % pour l’UEMOA et à moins de 3 % pour la CEMAC, et donc de brider la planche à billets.

Le fait que la France a longtemps été représentée au sein même des instances dirigeantes des banques centrales de ces deux « zones franc » est aussi, selon les critiques du FCFA, un levier à la disposition de Paris pour influencer la politique monétaire de ces pays. Aujourd’hui, la représentation française est nettement moins influente dans ces organes, puisque la « réforme » du FCFA de décembre 2019, inscrite dans le droit français au printemps 2020, a acté le retrait des représentants français de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest, tandis que ceux présents, au nombre de deux, à la Banque des Etats de l’Afrique centrale n’ont plus de droit de veto. Ce retrait n’était toutefois pas engagé lors de la prise de parole de Mme Meloni, en 2019.

Un dernier aspect abordé par Giorgia Meloni est que cette monnaie est imprimée en France, ce qui est vrai. Deux sites de production (situés à Pessac, en Gironde, et à Chamalières, dans le Puy-de-Dôme) sont chargés de fabriquer la masse monétaire transférée ensuite plus tard en Afrique. Il s’agit en réalité d’une relation contractuelle plutôt classique, que de nombreux autres pays pratiquent aussi lorsqu’il coûte plus cher de produire soi-même sa propre devise. En 2022, plus de quarante des cinquante-quatre pays africains impriment leurs monnaies à l’étranger, tout comme certains pays européens, comme le Danemark.

Le mensonge sur le « seigneuriage » français

Ce que Giorgia Meloni a dit :

« La France applique un seigneuriage qui lui permet d’exploiter les ressources de ces nations. »

Pourquoi c’est faux

L’argument est crucial dans la rhétorique de l’extrême droite italienne, puisqu’il permet à Rome de sous-entendre que Paris a une responsabilité directe dans les importants flux de migrants qui tentent de rejoindre l’Europe en franchissant la Méditerranée. Il est pourtant faux.

Giorgia Meloni s’inspire d’une réalité : les deux banques centrales des zones où circule le franc CFA devaient, jusqu’à 2020, déposer 50 % de leurs réserves de change sur un compte d’opération de la Banque de France, à Paris, conformément aux deux traités de coopération monétaire signés avec la France. Mme Meloni déforme toutefois ce fait à l’extrême en sous-entendant que cela revient à ce que 50 % de la richesse produite dans ces quatorze pays africains revienne à cette dernière, comme elle l’affirme en prenant l’exemple du Burkina Faso :

« La France imprime sa monnaie coloniale pour le Burkina Faso, qui a de l’or. En échange, ils demandent que 50 % de ce que le Burkina Faso exporte finisse dans les coffres du trésor français. »

Giorgia Meloni réutilise ici un argument ancien de certains détracteurs de Paris, qui ont dans le passé parlé d’« impôt colonial » de la France en Afrique. Cela n’a cependant pas grand-chose à voir avec un impôt et ne revient pas à extorquer aux pays africains la moitié de leurs richesses.

Les accords de coopération monétaires signés en 1972 et 1973 avec ces deux zones franc formalisent certaines règles de fonctionnement en vigueur depuis la fin des années 1950, à savoir :

  • la convertibilité illimitée du franc CFA dans d’autres monnaies garantie par la France ;
  • le taux de parité fixe entre le franc CFA et le franc français (puis l’euro) ;
  • la liberté de circulation des capitaux entre les pays de ces zones ainsi qu’avec la France ;
  • le dépôt d’au moins 50 % des réserves de change des banques centrales concernées à Paris.

Ce dépôt était censé garantir une stabilité monétaire pour les pays utilisateurs, dans le but d’inspirer la confiance des investisseurs étrangers. Contrairement à ce qu’affirme Mme Meloni, la France ne faisait aucun usage de ces fonds, qui restent la propriété de ces quatorze pays africains. Ce « compte d’opération » ouvert à Paris jusqu’à récemment était par ailleurs rémunéré par la Banque de France à un taux supérieur à celui du marché (0,7 %), et a donc rapporté annuellement plusieurs dizaines de millions aux deux banques centrales concernées.

Seule une minorité des migrants africains viennent des pays en zones franc

Ce que Giorgia Meloni a dit :

« Donc la solution n’est pas de prendre les Africains et de les amener en Europe, la solution est de libérer l’Afrique de certains Européens qui les exploitent et de permettre à ces gens de vivre avec ce qu’ils ont ! »

Pourquoi c’est faux

Giorgia Meloni se sert ici des critiques préexistantes sur le franc CFA pour en conclure que l’appauvrissement dont il serait responsable pousserait de nombreux Africains à franchir la Méditerranée pour migrer en Europe.

Pourtant, la vaste majorité des personnes qui tentent de rejoindre l’Europe en provenance d’Afrique n’est pas issue des pays qui utilisent le FCFA. « On ne peut pas dire que les pays africains de la zone franc soient surreprésentés dans les flux migratoires vers l’Europe, même si on considère les choses sur le temps long », notait en 2019 Jacques Barou, directeur de recherches au CNRS et spécialiste des migrations, dans Le Monde Afrique. Les principaux flux venant d’Afrique « partent surtout du Soudan, d’Erythrée et du Nigeria, trois pays qui n’ont jamais été dans la zone franc », soulignait-il alors.

Selon des données de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) publiées en juillet 2019, quelques mois après les affirmations de Mme Meloni, la plupart des migrants africains arrivés sur les rives européennes en 2017 et 2018 provenaient en effet de la République démocratique du Congo, d’Algérie ou de Somalie, qui n’utilisent pas le FCFA. De nombreux migrants venaient également du Cameroun, où le Franc CFA circule, mais les attaques régulières sur les populations civiles du groupe terroriste Boko Haram, dans le nord du pays, les inondations et les tensions entre communautés provoquées par un accès réduit à l’eau et aux pâturages sont les principales raisons d’émigration des Camerounais.

Les données compilées depuis 2014 par l’OIM sur l’origine des personnes migrantes mortes en tentant de rejoindre l’Ancien Continent montrent une tendance similaire, bien que légèrement différente. Les pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie) forment le trio de tête des pays africains, suivis du Sénégal, de l’Erythrée, du Mali et du Soudan. Au total, sur les 3 424 morts qui ont pu être identifiés comme ressortissants de pays africains, 80 % sont originaires de pays non utilisateurs du FCFA, et 20 % de pays membres des zones franc (Sénégal, Mali, Côte d’Ivoire, Cameroun). A noter, l’origine de la majorité (83 %) des 29 000 migrants morts en tentant de rejoindre l’Europe depuis 2014 n’a malheureusement pas pu être identifiée.

La pauvreté joue évidemment un rôle dans l’émigration d’une partie de la population de ces pays, mais les violences politiques ou sociales sont aussi des facteurs déterminants dans la décision de quitter un pays, notamment du Sahel, où « la violence a augmenté ces dernières années sous l’effet d’une combinaison de facteurs », note l’OIM dans son dernier rapport, publié en 2022.

Economiquement, le débat sur l’appauvrissement des pays africains par le FCFA est presque aussi vieux que l’indépendance de ces pays de leur tutelle coloniale. Cette devise est en effet régulièrement critiquée par des économistes en raison de son adossement à une monnaie forte, l’euro, qui pénalise fortement les exportations, et donc les populations les plus pauvres de ces pays.

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S’il est aujourd’hui relativement documenté que le FCFA est en partie inadapté à l’économie de ces pays, il semble exagéré de conclure qu’il les appauvrit, surtout au point de provoquer une émigration massive. Plusieurs études ont conclu que la croissance économique des pays appartenant aux zones franc était dans le temps tout à fait comparable à celles ayant recours à d’autres monnaies.

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