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Awa Bousso Dramé est une chercheuse engagée : à côté des travaux qu’elle mène dans le domaine des sciences géospatiales et de l’utilisation de l’intelligence artificielle pour la surveillance des côtes en Afrique de l’Ouest, la Sénégalaise de 25 ans a créé au début de l’année l’institut Coastal & GeoSciences dans lequel la place des femmes est une préoccupation première.
« Nous veillons à accompagner les femmes dans leur parcours de recherches dans des disciplines dominées par les hommes. Nous avons par exemple un programme en géochimie à l’échelle régionale », explique la jeune scientifique qui fait partie des vingt lauréates du prix Jeunes Talents d’Afrique subsaharienne pour les femmes et la science, décerné en novembre par l’Unesco et la Fondation L’Oréal. Seulement 0,04 % des femmes chercheuses valident un doctorat au Sénégal, selon les données du Forum économique mondial.
La chercheuse est depuis longtemps passionnée par les sciences de l’environnement. « Grâce à ma grand-mère cap-verdienne, j’ai compris très tôt que les océans sont des organismes vivants connectés aux humains », se rappelle la Dakaroise qui a passé son enfance à observer l’Atlantique. Aujourd’hui, elle travaille sur une thèse encadrée par l’University College London (UCL) et le centre de suivi écologique (CSE) de Dakar, structure rattachée au ministère sénégalais de l’environnement.
« Ce n’est pas hors de portée des femmes »
Au cœur de ses recherches : les impacts du changement climatique, des infrastructures comme les ports ou les projets d’exploitation d’hydrocarbures sur la circulation des sédiments dans l’estuaire du fleuve Sénégal, transfrontalier avec la Mauritanie. Un terrain géopolitique sensible : c’est là que se trouve le projet gazier sénégalo-mauritanien de la Grande Tortue Ahmeyim (GTA) dont la mise en exploitation est prévue fin 2023. « Les résultats de sa recherche pourraient compléter notre dispositif de surveillance de l’érosion côtière », estime Moussa Sall, coordonnateur au sein de la mission d’observation du littoral ouest-africain au CSE et l’un de ses directeurs de recherche.
Entretemps, elle a aussi travaillé sur l’impact de la construction d’une autoroute urbaine sur le littoral nord de Dakar. Ses recherches à partir de collecte de données géospatiales ou sur le terrain ont permis d’enregistrer une érosion de plus de 4 m par an entre 2010 et 2019.
C’est d’ailleurs par ces recherches concrètes qu’elle souhaite jouer un rôle modèle et tordre le cou aux clichés sur l’incapacité supposée des femmes à exercer dans certaines sciences. « La géomorphologie qui est l’étude du relief requiert par exemple d’aller sur le terrain et d’y faire un travail physique de prélèvements, ce qui peut expliquer que la discipline soit occupée par les hommes. Je reçois souvent des moqueries lorsque je suis moi-même en train de récupérer des sédiments en faisant des carottages. Mais les femmes peuvent constater ainsi que cela n’est pas hors de leur portée », témoigne Awa Bousso Dramé.
Elle assume ainsi son engagement afroféministe : « La recherche et les instances de décision manquent de femmes et plus particulièrement de femmes noires et africaines », déplore-t-elle en pointant « des identités culturelles et de genre mises à mal pendant la décolonisation » et dont les perceptions « ont toujours un impact dans les milieux scolaires, universitaires et professionnels ».
Terrain géopolitique sensible
Elle-même s’est battue pour poursuivre ses études de géographie à l’Université de la Sorbonne à Paris, une fois son baccalauréat en poche, en 2014. Awa Bousso Dramé s’est ensuite tournée vers les sciences géospatiales qu’elle a étudiées notamment à la Columbia University de New York. « J’étais attirée par l’intelligence artificielle et les sciences géospatiales et par leurs potentielles applications en Afrique de l’Ouest », explique la chercheuse qui concentre son travail sur l’étude des zones côtières régionales.
« Les littoraux cristallisent des enjeux environnementaux et de développement économique, notamment avec les estuaires transfrontaliers qui abritent des ressources naturelles comme le gaz ou le pétrole », précise-t-elle en souhaitant éclaire par ces travaux les décisions de politiques publiques.
En Afrique de l’Ouest, 56 millions de personnes vivent le long des littoraux où se concentre plus de la moitié du PIB. « Avec le dérèglement climatique, le littoral ouest-africain est particulièrement exposé à l’érosion et aux inondations, sans compter l’impact sur la biodiversité », s’inquiète Awa Dramé Bousso, espérant que son travail permette de « proposer des solutions durables » à des phénomènes qui auront un impact sur les communautés pour longtemps.
Dossier réalisé en partenariat avec la Fondation L’Oréal.